Jefferson Airplane en 1970. De gauche à droite : Jorma Kaukonen, Grace Slick, Paul Kantner, Marty Balin, Spencer Dryden et Jack Casady
Jefferson Airplane en 1970. De gauche à droite : Jorma Kaukonen, Grace Slick, Paul Kantner, Marty Balin, Spencer Dryden et Jack Casady.

Moins connu que David Bowie, mais tout aussi essentiel pour l’histoire du rock, Paul Kantner, décédé le 28 janvier 2016, est à l’origine d’un des groupes les plus excitants des années 60-70 : Jefferson Airplane.

Par David Marquet

« Ça, c’est la base du rock. », m’a dit mon père en m’offrant trois cassettes pour mes dix ans. « Ça », c’était Sticky Fingers, des Rolling Stones, L.A. Woman, des Doors, et une double, comprenant Surrealistic Pillow et Afer Bathing at Baxter’s, de Jefferson Airplane.

J’ai mis plus de temps à écouter ces derniers, leur musique étant moins évidente à l’oreille. Pourtant, dès que je m’y suis mis, j’ai passé Surrealistic Pillow en boucle. Aussi, lorsque Paul Kantner est mort, ai-je été un peu déçu qu’il ne déchaîne pas les mêmes passions sur les réseaux sociaux. Car s’il est moins célèbre que Bowie (c’est indéniable), il a contribué tout autant (sinon plus) à façonner l’histoire du rock.

Pourtant Les Inrockuptibles ne lui consacrent qu’une mini-bio, moins longue que celle du Figaro, ce qui est pour le moins étonnant… Sa vie et son œuvre seraient-elles indignes d’intérêt et, donc, de commémoration ? Pas du tout. C’est même l’inverse, puisque que Paul Lorin Kantner, né et mort à San Francisco, a donné naissance à l’un des trois groupes les plus passionnants de la Côte Ouest du milieu des années soixante (les Doors et le Grateful Dead étant les deux autres).

Né le 17 mars 1941 son est père voyageur de commerce, et l’envoie à l’école militaire après la mort de sa mère, selon le San Francisco Chronicle (en anglais). Il s’en échappera métaphoriquement grâce à la science-fiction et à la folk. On peut raisonnablement estimer que cette expérience aida à forger son engagement, Kantner étant l’un des membres les plus politisés de son futur groupe. Mais c’est la musique qui prendra le pas sur ses aspirations, puisqu’il quittera la fac pour s’y consacrer entièrement.

Influencé entre autres par le chanteur Pete Seeger, il fonde le Jefferson Airplane en 1965, avec Marty Balin. Tous deux chantent et jouent de la guitare. La formation est complétée par le génial guitariste soliste Jorma Kaukonen, la chanteuse Signe Toly Anderson (décédée, détail attristant, le même jour et au même âge que Kantner), le bassiste Bob Harvey et le batteur Jerry Peloquin. Celui-ci est bientôt remplacé par Skip Spence, bientôt remplacé (lui aussi) par Spencer Dryden. Leur première apparition sous ce nom a lieu le 13 août 1965, pour l’ouverture du Matrix, ancienne pizzeria transformée en club par Marty Balin (source : Wikipedia, en anglais). Leur style est plutôt blues-rock, même si les paroles sur l’amour libre et l’usage des drogues douces leur future signature, comme le souligne Le Monde. Un premier album, Jefferson Airplane Takes Off (littéralement : l’avion Jefferson décolle) porte cette empreinte et rencontrera d’ailleurs un succès mitigé.

Par la suite, Jack Casady remplacera Harvey à la basse, et Grace Slick apportera sa voix, reconnaissable entre mille, Anderson ayant décidé de se consacrer à l’éducation de son enfant, précise Télérama. C’est cette formation qui confectionnera un « oreiller surréaliste » : Surrealisitic Pillow, leur deuxième album.

Surrealistic Pillow

Sorti en 1967, ce disque est, dans une certaine mesure, tout aussi déroutant et novateur que, disons, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles. S’il n’est pas aussi riche en orchestrations, il n’en possède pas moins une variété équivalente. La preuve en trois exemples :

She Has Funny Cars:

Cette composition de Balin et Kaukonen prend par surprise. D’abord la batterie, puis une ligne de basse répétitive, doublée par la guitare, et soudain un virage à 360 degrés pour une ballade rehaussée par les prouesses vocales de Grace Slick.

Today:

Cette chanson de Kantner et Balin suit le cheminement exactement inverse. Tout d’abord douce ballade pour l’être aimé, elle se termine par une puissante exhortation à l’amour, presque désespérée. Elle est toujours aujourd’hui l’une des plus jouées lors des mariages aux USA, nous apprend Libération.

Embryonic Jouney:

L’instrumental du « Voyage d’un embryon » de Jorma Kaukonen a fait pleurer des générations de guitaristes. Jimmy Page, de Led Zeppelin, qui désaccorde systématiquement son instrument pour faire son intéressant, peut aller se rhabiller.

On pourrait encore citer How Do You Feel ou Plastic Fantastic Lover pour compléter cette démonstration. Et, bien sûr, les deux plus célèbres chansons du groupe, Somebody To Love et White Rabbit, toujours convoquées par le cinéma dès qu’il s’agit d’évoquer le psychédélisme. Est-ce parce que l’album fut l’un des cinq du groupes à être disque d’or, comme l’indique Rolling Stone (en anglais) ?

Au fond, peu importe. Ce qui compte, c’est que cet album existe. Quant à savoir si le groupe constitue une « base » du rock, on peut discuter de l’affirmation de mon père. Mais en ce qui me concerne, je ne peux pas imaginer un monde sans Jefferson Airplane.