Leonardo Di Caaprio dans le film qui lui a (enfin) valu l'Oscar du meilleur acteur. Photo Day Donaldson.
Leonardo DiCaprio dans le film qui lui a valu l’Oscar du meilleur acteur, sans que ce soit son meilleur rôle. Photo Day Donaldson.

THE REVENANT, d’Alejandro Gonzales Iñárritu. Avec Leonardo di Caprio, Tom Hardy, Domhnall Gleeson, Will Poulter, Forrest Goodluck, Melaw Nakehk’o, Arthur RedCloud, Anthony Starlight.

The Revenant prouve qu’il est devenu quasi impossible pour un acteur américain de décrocher un Oscar sans un rôle très physique ou une histoire vraie. DiCaprio a rempli ces deux conditions, mais peine à convaincre. Attention : spoilers.

Par David Marquet

Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour avoir un Oscar aujourd’hui ! Il ne suffit plus d’être un excellent acteur. La consécration ultime nécessite une performance, un exploit qui repousse les limites de l’humain dans des situations toujours plus extrêmes. The Revenant le démontre avec le rôle de DiCaprio. Extrêmement physique, personnage historique, les deux sésames absolus pour être sacré par ses pairs. Il ne s’agit absolument pas ici de remettre en cause le talent indéniable du comédien. Mais de se demander si sa prestation ne ressemble pas plus à un tour de force destiné à impressionner un jury aux critères de plus en plus exigeants, pour ne pas dire déraisonnables (voir encadré).

Leonardo DiCaprio campe Hugh Glass, un trappeur ayant réellement existé. Sauvagement agressé par un ours, il est laissé pour mort par l’assassin de son fils et entreprend de survivre pour se venger. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y va pas de main morte. Qu’est-ce qu’il rampe bien ! se dit-on en voyant l’acteur progresser coude après coude sur le sol glacé. On pense à une autre scène mémorable du Loup de Wall Street, où, complètement défoncé, il se contorsionne à plat ventre pour rejoindre sa voiture. Découvrant cette séquence, Iñárritu  a dû se dire : « Ça c’est un acteur qui sait ramper ! Je vais illico l’engager pour The Revenant ».

Blague à part, on jugerait une métaphore de l’acteur se traînant à terre pour implorer son Oscar. D’ailleurs, chacun de ses gros plans semble interpeler les votants : « Vous avez vu, hein ? Vous avez vu ce dont je suis capable ? ». Car rien ne nous est épargné dans cette quête de résurrection. DiCaprio déchiqueté par un ours. DiCaprio cautérisant ses propres blessures en mettant le feu à sa gorge. DiCaprio avalant un poisson cru. DiCaprio dévorant un bison cru. Ça n’est pas assez ? Qu’à cela ne tienne ! Voilà DiCaprio à poil sous la neige, éviscérant un cheval pour se tenir au chaud dans sa carcasse. Qu’on se le dise : DiCaprio n’a peur de rien, comme le relève Libération.

Pourtant ce personnage manque cruellement d’épaisseur. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il connaît bien la nature et les indiens et les aime tous les deux. Bref, c’est vraiment un type cool. Non seulement il a un fils métissé pawnee (dans l’Ouest américain de 1823, c’est plutôt avant-gardiste), mais en plus, même dans son état, il n’hésite pas à secourir la veuve et l’orphelin. Une sorte de Tintin-McGyver avec plus de barbe et moins de préjugés raciaux. C’est un peu léger pour s’intéresser vraiment à son périple. Par opposition, John Fitzgerald, le méchant du film, possède lui une vraie substance. Tom Hardy, remarquable, nous fait croire à son existence (véridique, elle aussi). Il a d’ailleurs la réplique la plus drôle du film, et son personnage pourtant secondaire est paradoxalement plus développé, plus complexe. Plus humain donc, que le monolithisme de Hugh Glass.

Cet aspect unidimensionnel (pour ne pas dire manichéen) est compensé par la magnifique mise en scène d’Iñárritu qui sublime les décors naturels. Ce qui aide à patienter avant la nouvelle surenchère de l’acteur pour s’assurer la victoire. Cette tactique, si c’en est une, s’est avérée payante. Après trois tentatives infructueuses (pour The Aviator en 2004, Blood Diamond en 2006 et Le Loup de Wall Street en 2013), le comédien a enfin reçu la récompense tant convoitée.

Cependant, The Revenant est loin d’être un mauvais film. La distribution est excellente, la mise en scène virtuose, et le tout d’une beauté à couper le souffle. Iñárritu n’a pas volé son Oscar de meilleur réalisateur. Emmanuel Lubezki mérite d’autant plus celui de la meilleure photo qu’il n’utilisa que la lumière naturelle. Conséquence : l’équipe ne put tourner que trois heures par jour, fait extrêmement rare, relate Le Figaro. Certaines scènes sont étonnamment amusantes : le moment où l’ours fait valser DiCaprio comme un personnage de cartoon ou celui où l’eau coule par son gosier, perforé par le plantigrade. Filmée en travellings nerveux, la séquence de l’attaque du camp de trappeurs par les indiens Arikaras, est saisissante de sauvagerie.

Hélas, l’œuvre n’échappe pas à quelques facilités scénaristiques. Deux exemples : Glass parle pawnee, et quand il croise un indien en train de dévorer un bison, il appartient justement à cette tribu, et non à celle des Arikaras… Il délivrera d’ailleurs la fille de leur chef, ce qui lui sauvera la vie quand il le rencontre. Dernier écueil, et non des moindres : les visions mystiques du héros, censées approfondir la gravité du propos, l’enterrent dans un symbolisme pesant.

Détail amusant, le scénario de The Revenant fait du personnage de DiCaprio un homme bien plus sympathique qu’il n’était en réalité. Car ce n’est pas pour venger son fils pawnee – invention des auteurs – que Glass a parcouru plus de trois cent kilomètres à moitié mort. Comme l’explique Première, le véritable Hugh Glass voulait juste récupérer son fusil fétiche et n’a jamais pu se venger de son voleur. Quoi qu’il en soit, si cette exigence de rôles paroxystiques perdure, les prochains prétendants au Graal hollywoodien ont du pain sur la planche.


L’ÉVOLUTION DES CRITÈRES REQUIS POUR AVOIR UN OSCAR


Il est assez navrant de constater que depuis quelques années il semble impensable de recevoir un Oscar de meilleur acteur sans malmener son corps ou donner vie à une histoire vraie. DiCaprio a fait les deux, et il y a fort à parier que c’est ce qui lui a valu sa consécration. Plus d’un lauréat l’ayant précédé le prouvent. Eddie Redmayne fut Stephen Hawking dans Une merveilleuse histoire du temps en 2014, Forest Whitaker Idi Amin Dada dans Le Dernier roi d’Écosse en 2006 et Colin Firth  George VI dans Le Discours d’un roi en 2010. Pour gagner, Adrien Brody dansThe Pianist (2002) et Matthew McConaughey dans Dallas Buyers Club (2013) perdirent respectivement quinze et vingt kilos. Robert De Niro, lui, en prit trente quand il interpréta en 1980 Jake LaMotta dans Raging Bull…  pour une dizaine de minutes à la fin du film.

Aussi incroyable que cela puisse paraître en 2016, il fut un temps où il suffisait à un acteur de très bien faire son métier. À savoir interpréter de manière crédible un personnage de fiction (ce qui constitue, somme toute, l’essence de la profession). Par exemple en incarnant un reporter en costume comme James Stewart dans Indiscrétions (1940). Ou en passant l’uniforme d’un lieutenant de l’armée anglaise dans Le Pont de la rivière Kwaï  (1957) comme Alec Guinness. Humphrey Bogart, pour le personnage mal élevé d’African Queen (1951), n’eut qu’à se laisser pousser une barbe de trois jours. Marlon Brando, dans Le Parrain (1972) se borna à mettre du coton dans ses joues, laissant son travail faire le reste. Laurence Olivier fut clairement le moins audacieux, en s’attribuant simplement le rôle-titre dans son Hamlet (1948), qu’il connaissait parfaitement pour l’avoir joué sur scène dix ans auparavant ! On pourrait même y voir une forme de fainéantise, au vu des standards d’aujourd’hui. Hamlet, c’est quand même un gars qui se pose des questions à voix haute pendant une éternité avant de faire quoi que ce soit… Olivier n’aurait eu aucune chance face à DiCaprio.