Une dizaine de CRs bloque le passage de la rue de l'Ambroisie. Photo : DSJC.
Une dizaine de CRS bloque le passage de la rue de l’Ambroisie.

Mercredi 8 juin, Le Jefferson Post assistait à une manifestation tendue contre la loi travail, en marge du rassemblement du mouvement « Eh Oh la gauche ». Un climat qui révèle l’impossible réconciliation entre une partie de la gauche et le gouvernement qu’ils ont élu… et n’augure rien de bon pour 2017.

Par David Marquet

Ils devaient être une centaine, au grand maximum, à la sortie du métro Cour Saint-Émilion mercredi 8 juin. Ce que confirme Libération, l’un des rares médias à en avoir parlé. Avec des banderoles CGT, NPA et des pancartes faites maison et des slogans anti loi-travail. La raison de leur présence ? Un meeting du mouvement « Eh oh la gauche » se donnait aux Salons de l’Aveyron, à deux rues de là, pour en vanter les mérites, en présence de Myriam El-Khomri et Manuel Valls, rapporte L’Obs. Mais l’accès était bouché par une dizaine de CRS, une dizaine d’autres bloquant perpendiculairement la rue François Truffaut. Aux cris de « Tout le monde déteste le PS », ils manifestaient une fois de plus pour le retrait de la loi.

Au début, tout est calme. Malgré leur détermination, il n’y a pas de provocations. Même si ça fait tout drôle d’entendre celles et ceux qui ont dû défiler au son de « F comme facho, et N comme Nazi » scander aujourd’hui « P comme pourri et S comme salaud ». Un peu plus tard, ces mêmes gens qui, sans aucun doute ont défilé le 11 janvier 2015 et ont applaudi les forces de l’ordre, se mettent à crier « Tout le monde déteste la police ». Étrange retournement de situation : en moins d’un an, ces mêmes gardes mobiles qui étaient acclamés sont conspués.

Il subsiste néanmoins un esprit bon enfant, quand les protestataires leur lancent « Laissez-nous passer ! ». Face à eux, une militante les stimule aux cris de « On va passer ! », repris en chœur par la foule. Je m’éloigne un peu pour voir jusqu’où s’étend cette petite marée humaine.

Soudain, une détonation. Une bombe lacrymogène lancée par les gardes mobiles oblige tout le monde à se couvrir le visage. Un quinquagénaire portant casquette et auto-collant CGT hurle « La corde pour Hollande ! » Deux autres manifestants essayent de tordre les barrières de chantier à côté de la rue de l’Ambroisie bloquée par les CRS. Les opposants à la loi travail sont surchauffés. Les flics rabattent leurs visières. Une deuxième détonation, une troisième. Puis ils chargent. Mouvement de panique. Un jeune rappelle vertement les autres à l’ordre : « On ne court pas ! ». Fausse alerte. Les CRS ont cessé leur progression. On a eu chaud.

 

Les mêmes CRS juste avant qu'ils ne chargent. Photo : DSJC.
Les mêmes CRS juste avant qu’ils ne chargent. Photo : DSJC.

 

Pourtant, pendant une fraction de secondes je ne peux m’empêcher de penser à Charonne, même si ça paraît ridicule après coup. Je me dis juste que, étant placé juste derrière la banderole des manifestants, si ça dégénère, les flics ne feront pas de différence. J’aurais dû probablement rester, et si j’avais été mandaté par un journal, je l’aurais fait, bien sûr. Et je ne pouvais pas me prévaloir de travailler pour la presse, comme les quelques photographes présents, ou Le Petit journal, arrivé (et reparti) avant cette montée de tension, au moment où les gardes mobiles verrouillent le périmètre (à partir de 12’02) :

 

Mais, alors que j’ai manifesté plus d’une fois, contre la loi Devaquet, contre la loi du sang, contre le CPE, pour les intermittents, etc., pour la première fois j’ai eu peur. Ce n’est pas l’odeur des gaz lacrymogènes ou les slogans hargneux. Encore que vouloir pendre Hollande (ou Sarkozy) me paraisse brutal et excessif (sans compter que ça ne résoudrait rien). C’est cette impression que d’un seul coup, tout peut déraper. Que l’affrontement verbal peut se transformer en combat bien réel. Et les nombreux incidents qui ont jalonné ces manifestations ne sont pas là pour rassurer.

Que ce soit du côté des 48 cas de violences policières ayant donné lieu à une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), un chiffre sujet à caution, selon Le Monde, que de celui des casseurs. En marge d’une nouvelle manifestation nationale, des casseurs ont commis aujourd’hui de nouvelles dégradations, incendiant des voitures, comme rapporte Le Figaro, ou – et c’est bien plus alarmant – s’en prenant aux vitres de l’hôpital Necker-Enfants malades, relève Le Parisien.

Quelle que soit l’issue du conflit qui oppose la rue au gouvernement, tout cela reflète un climat délétère, un parfum de guerre civile, qui fait froid dans le dos et ne présage rien de bon pour les prochaines présidentielles. Car il est de plus en plus évident que les gens de gauche se refuseront à voter pour un parti, le PS, dont ils estiment qu’ils les a trahis. Et il y a fort à craindre que nombre d’électeurs de droite, déçus par la multiplicité de leurs candidats potentiels et souhaitant un retour à l’ordre, ne se tourne vers… une candidate. Le désordre social, la peur du terrorisme et la situation économique contribuent de plus en plus à concrétiser ce cauchemar.

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