Nicolas Sarkozy a prêté l’oreille aux conseils les plus droitiers de Patrick Buisson durant tout son quinquennat. Photo : World Economic Forum. swiss-image.ch/Photo by Moritz Hager.

Patrick Buisson est connu aujourd’hui pour avoir écouté clandestinement l’ex-président. Mais le documentaire Patrick Buisson, le mauvais génie révèle bien autre chose : c’est à cause de son combat acharné que les idées et les valeurs d’extrême-droite sont entrées dans le débat public.

Par David Marquet

Le formidable documentaire d’Ariane Chemin et de Vanessa Schneider sur Patrick Buisson révèle bien plus que ses désormais célèbres enregistrements clandestins de l’ex-président, comme le rappelle L’Express. Il montre comment, en choisissant de rester dans l’ombre, le conseiller spécial du président a fait accéder l’idéologie d’extrême-droite aux plus hautes marches du pouvoir.

Instigateur du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, du discours sur « les racines chrétiennes de la France », pays laïc, il réussit à manipuler l’ex-chef de l’État suite à un combat mené sans relâche pendant quatre décennies. Comme l’explique Jean-Sébastien Ferjou, ancien collaborateur de Buisson à LCI : « Dans son esprit, je pense que la démocratie est conçue comme une faiblesse pour un pays ».

Cette défiance se manifeste dès le plus jeune âge. Quand l’élève de quatrième refuse de se lever pour la minute de silence dédiée à six enseignants assassinés par l’OAS (Organisation armée secrète) en mars 1962. Quand l’étudiant de Nanterre, numéro deux du syndicat d’extrême-droite FNEF (Fédération nationale des étudiants de France) devient rédacteur en chef du journal du mouvement, alors que mai 68 se prépare.

Dès ses premiers écrits, il fustige la droite française qui « se refuse obstinément (…) à mobiliser à son profit les ressources du quatrième pouvoir » et qui ne conspire qu’ « au grand jour, en prenant bien soin que cela se sache ». Il choisira donc la stratégie inverse, sans jamais lui-même briguer un poste à responsabilités.

Journaliste à Minute, il poursuit son action. La rédaction de l’hebdomadaire pose avec le portrait du maréchal Pétain, et prend pour cible les immigrés, les syndicats, les francs-maçons, les juifs. Directeur de la rédaction, Patrick Buisson utilise ces colonnes pour promouvoir Jean-Marie Le Pen. Mais le Front national des années 1970-1980 n’est pas le Front national d’aujourd’hui. Ses scores électoraux sont dérisoires, et sa visibilité, nulle. Aussi Patrick Buisson œuvre-t-il pour que son champion – dont il rédige entre autres la biographie – bénéficie d’une plus large couverture médiatique. C’est lui aussi qui convainc Bruno Mégret d’intégrer le parti, qui manque de cadres, pour structurer le mouvement.

Quand Patrick Buisson constate que Le Pen renonce peu à peu au pouvoir, il jette son dévolu sur Philippe de Villiers, qui lui vaudra un succès électoral contre la droite classique, grâce à une alliance avec Charles Pasqua aux européennes de 1999. C’est aussi Buisson, comme le fait remarquer Mégret, qui fait entrer le mot « identité » dans le débat public, qui n’y avait pas droit de cité jusqu’alors.

Très attentif aux sondages et habile à les manipuler, Patrick Buisson produit et présente une émission sur la nouvelle LCI, le Club de l’opinion, où il rencontre Nicolas Sarkozy. Alors que tous les instituts prédisaient la victoire du oui au référendum sur le traité de Maastricht, comme le souligne le Figaro, il avance que le « non» l’emportera à la décimale près. Cette assurance impressionne le futur président, qui le nommera conseiller spécial et le remerciera de l’avoir fait élire en 2007 en le faisant chevalier de la légion d’honneur. Patrick Buisson, entretemps, a créé sa propre entreprise de sondages, qu’il emploiera exclusivement au service de l’Élysée, avec des marges confortables, fait sans précédent dans les institutions de la cinquième république, ce qui lui vaut aujourd’hui d’être mis en examen, rappelle Libération. Enfin, Sarkozy lui offrira la présidence de la chaîne Histoire – qu’il dirige toujours, où il peut développer ses thèmes de prédilection, à contre-courant des manuels scolaires, comme le courage des Chouans ou la guerre d’Algérie du point de vue de l’OAS.

En retraçant l’itinéraire d’un homme aussi intelligent que manipulateur, le travail des deux grands reporters du Monde s’attache à démontrer que Patrick Buisson n’a cessé de mettre en œuvre la promotion des idées droitières les plus nauséabondes. Militantisme politique et syndical, presse, sondages, télévision : tous les moyens étaient bons. Au point que ce qu’on appela un temps la « lepénisation des idées » devrait être, à la lumière de ce documentaire lucide, requalifiée en « buissonisation ».