Emma Stone-Ryan Gosling La La Land
Emma Stone et Ryan Gosling dans « La La Land » de Damien Chazelle.

Moonlight mérite certainement l’Oscar du meilleur film, et avec ce choix, Hollywood a (pour une fois) pris un risque. Mais pour le Jefferson Post, c’est La La Land qui aurait dû recevoir le trophée suprême. Parce que cela fait belle lurette que l’on n’avait pas vu un film aussi chatoyant, aussi jouissif, aussi maîtrisé ; en  un mot, aussi enthousiasmant.

Par David Marquet

Tout le monde a pu le constater : La La Land a été sacré Oscar du meilleur film… pendant quelques secondes. Blague à part, Moonlight (que nous n’avons pas vu) mérite sûrement la récompense ultime. D’autant qu’avec ce choix, Hollywood fait pour une fois preuve d’une audace certaine, et déjoue les attentes. Certes.

Néanmoins, pour le Jefferson Post, La La Land est un véritable chef-d’oeuvre. Sa mise en scène flamboyante, son histoire universelle, l’alchimie de ses acteurs en liberté, tout concourt à hisser ce film au rang des classiques. Bien sûr, on peut pointer les influences du réalisateur (Jacques Demy en tête), mais ce serait oublier le principal. Car contrairement à The Artist, pur hommage jusque dans sa forme, La La Land réussit la prouesse d’être une comédie musicale… d’aujourd’hui. Les thèmes abordés (la quête du succès artistique et la recherche de l’amour) ne datent pas d’hier, mais la manière de les traiter est résolument moderne.

L’ouverture du film, un long plan-séquence de trois minutes, annonce la couleur — ou plutôt les couleurs. La caméra virevolte au rythme de la chanson Another Day Of Sun, et un embouteillage se transforme en chorégraphie chatoyante jusqu’à l’apparition du titre sur le dernier accord. C’est époustouflant de bout en bout. (Il faut donc une sacrée dose de mauvaise foi à ce vieux grincheux de Pierre Murat pour déclarer, sentencieux, dans Télérama, que le film « indiffère totalement »).

 

 

On se dit qu’après un tel démarrage, le réalisateur a intérêt à tenir ses promesses ! Fort heureusement, La La Land va bien au-delà. Car sous ses dehors de bluette sympathique entre deux artistes débutants, l’œuvre recèle quelque chose de plus profond, de plus sombre, de plus désespérant. Et de bien plus réaliste que Chantons sous la pluie, par exemple.

Une bluette plus profonde qu’il n’y paraît

Car tout au long de cette histoire et des chansons qui la rythment, on ne peut s’empêcher de penser que, même si le récit est captivant et les acteurs drôles (mention spéciale à Ryan Gosling, bien plus intéressant dans la comédie que le drame) il n’est pas  tout à fait à la hauteur de son opening fracassant.

C’est une volonté délibérée du scénariste : nous montrer un monde apparemment sucré, où tout paraît simple ou presque, où rien ne semble pouvoir empêcher les protagonistes de danser ou de chanter leur bonheur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais à travers cette histoire somme toute banale, l’auteur met au jour l’écart entre les rêves d’ambition et la réalité du métier, entre le désir d’une vie à deux et la volonté de réussir une carrière seul, entre la vie telle qu’on l’aurait voulue et la vie telle qu’elle est. C’est en évitant cet écueil du feel-good movie (ce qu’il est par ailleurs, ce n’est pas un mince exploit) que l’œuvre atteint les hauteurs qu’elle n’aurait jamais approché sans cela. Même Libération a aimé, c’est tout dire !

On se prend à aimer ces personnages et à se sentir proche d’eux, car, contrairement à la tradition du genre, ce ne sont pas des gens extraordinaires, mais bien plutôt des antihéros. Des losers, pour tout dire, dont on suit le cheminement avec d’autant plus d’empathie. En effet, qui n’a jamais caressé un jour l’idée d’être en haut de l’affiche (peu importe l’affiche) ou simplement de réaliser ses rêves ? Et même sans cela, qui n’a pas connu une histoire d’amour qui l’a marqué à vie ?

Le naturel lumineux d’Emma Stone



C’est en cela que le choix d’Emma Stone (qui n’a pas volé son Oscar de la meilleure actrice) est plus que judicieux. Lumineuse et d’un sourire désarmant, les gestes, les mimiques et le naturel de Mia, son personnage, insufflent du concret et même du terre-à-terre dans la destinée de cette jeune actrice qui se désole de ne pas percer. Une rencontre décisive va pourtant lui donner la force de persévérer : Sebastian (Ryan Gosling), un nostalgique du jazz de la grande époque qui rêve d’avoir son propre club.

(Ce personnage a d’ailleurs suscité une polémique stupide. On a accusé La La Land de célébrer le jazz à travers un blanc, quand les noirs n’y tiennent qu’un second rôle. C’est pourtant parfaitement réaliste. Le jazz est historiquement une musique de noirs, c’est un fait. Mais Sebastian veut raviver un monde révolu, celui de Thelonious Monk et de Charlie Parker, et seul un blanc peut penser comme ça. Ce que lui démontre d’ailleurs son ami Keith (le chanteur John Legend), à savoir que le jazz d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui qu’adule Sebastian. Kind Of Blue (1959) et Tutu (1986) sont tous deux des albums de Miles Davis et n’ont pourtant pas grand-chose en commun rien).

La La Land, ode universelle aux artistes et à l’amour

Comme il y a peu d’élus dans le monde du spectacle, Sebastian devra se résigner à vivre de son métier en reniant ses idéaux, tandis que Mia s’efforcera, sur ses conseils, de monter sa propre pièce, avec un échec cuisant. C’est pourtant au fond du trou, alors qu’elle se retrouve seule et sans perspective, que Mia décroche l’audition qui peut changer sa vie. Audition, c’est justement la chanson la plus émouvante du film, dans laquelle l’actrice (le personnage, mais sûrement aussi Emma Stone elle-même), en appelle « aux imbéciles qui rêvent, aussi fous puissent-ils paraître » (« Here’s to the tools who dream, Crazy as they may seem »). Une ode déchirante aux artistes en herbe et aux cœurs brisés qui donne le frisson. (Bien plus audacieuse, musicalement, que City of Stars, et méritait donc d’autant plus l’Oscar).

C’est à ce moment précis que le film révèle toute son ampleur. À une époque où les romantiques passent pour des faibles et Instagram pour de l’esthétique, La La Land nous rappelle qu’il n’y a que deux choses qui vaillent vraiment la peine d’être vécues : le regard des artistes et les yeux de l’être aimé.