Les militants de France insoumise qui se gargarisent du hashtag #SansMoiLe7Mai ressemblent à ces poulpes au-dessus d’une « vague bleu Marine ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mélenchonistes qui refusez de choisir Macron en risquant l’élection de Le Pen et réprouvez les leçons de morale politique mais admonestez vos adversaires : vous êtes si fiers d’afficher votre abstention ou votre vote blanc. Mais si le FN arrive au pouvoir, vous serez tout aussi responsables que ceux que vous dénoncez à longueur de tweets.

Par David Marquet

Vous, auto-proclamés « insoumis », qui vous vantez sur Twitter de vous abstenir ou de voter blanc pour le second tour derrière le hashtag #SansMoiLe7MAi, vous n’avez pas seulement perdu la présidentielle. Vous avez perdu la tête. Aucun de vos arguments pré-mâchés ne tient la route. En renvoyant dos à dos Macron et Le Pen aux cris indignés de « ni banquier ni facho ! », vous n’êtes que des révolutionnaires de café du commerce.

Précision : moi aussi j’ai voté Mélenchon, alors ne venez pas me traiter de social-traître, vous serez bien mignons. Votre envie de changement est légitime et plusieurs points du programme de la France insoumise donnaient envie. Mais contrairement à vous, je n’ai jamais pris votre candidat pour le père Noël. Vous, si. Donc, au lieu de rager comme des mauvais perdants, réjouissez-vous plutôt d’être la quatrième force politique du pays.

Avec le recul, Benoît Hamon était de loin le candidat le plus honnête intellectuellement. Mais pour la première fois, j’ai choisi un vote stratégique : les sondages donnaient une meilleure chance à Mélenchon (donc à la gauche, croyais-je alors) de passer le premier tour, et il disposait d’une meilleure réserve de voix. Enfin, c’était, croyais-je encore, un rempart inébranlable contre le vote Le Pen au second.

Quelle funeste erreur ! On ne m’y reprendra plus jamais. Surtout quand votre porte-parole, omettant soigneusement de dire qu’il fera grimper le score de Le Pen, déclare sans rire :

 

Mélenchon lui-même a préféré s’en remettre à vous, sans donner de consignes. Le même Mélenchon, qui vous a inculqué quoi dire et quoi penser, qui avait appelé sans équivoque à contrer Le Pen père après le 21 avril 2002, ainsi que le rappelle (entre autres) le journaliste Fabrice Arfi sur son blog :

 

Mélenchon se comporte comme un vulgaire Bayrou en 2012

S’il ne le fait pas aujourd’hui, c’est parce qu’avec ce résultat impressionnant, il sait qu’il peut influer sur le cours de l’élection comme un vulgaire Bayrou en 2012. Parce que lui, contrairement à vous, il sait ce qu’est la politique : une lutte de pouvoirs. Parce que lui, contrairement à vous, il sait que même élu, il devrait mettre de l’eau dans son vin. Parce que lui, contrairement à vous, il a lu le Prince de Machiavel : « En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal. » Car même si Fillon avec sa mise en examen était à la place de Macron, j’aurais préféré le faire élire à la place d’un parti où fricotent Bloc identitaire, les anciens du GUD et des néo-nazis !

Le plus désespérant ? 30% d’entre vous ont entre 18 et 35 ans, selon un sondage Ipsos paru dans 20 minutes.
Et vos cris d’orfraie de protestataires anonymes des réseaux sociaux montre l’étendue de votre courage politique :

 

 

Petit flashback : j’avais votre âge en 2002, quand l’effroi s’inscrivait sur nos postes de télévision : Jean-Marie Le Pen était au second tour. À l’époque, c’était inimaginable. Je n’ai pas grandi, moi, dans un monde où le Front national s’affiche tous les jours ou presque dans les médias. J’ai toujours voté à gauche, mais je n’ai pas hésité une seconde à faire gagner Chirac, que je haïssais, même s’il a eu le culot, avec son score stalinien de 82 %, de parler d’un « plébiscite » le soir même de sa victoire .

Si nous avions réagi comme vous, le Front national aurait pu être au pouvoir, et votre France insoumise n’aurait jamais vu le jour, sans parler du mariage gay. Quant à ceux qui ont voté Chirac à l’époque, si votre position a changé, ça ne peut vouloir dire qu’une chose : que Marine Le Pen a remporté  son pari de dédiabolisation sur vous aussi. Vous les prétendus chantres d’une vision plus égalitaire. Et vous ne vous en rendez même pas compte.

En vous récriant contre les donneurs de leçons bien cachés derrière vos écrans, vous êtes vraiment mal placés pour donner des cours d’éthique politique. Surtout quand vous-mêmes, persuadés de détenir la vérité, avez fait preuve d’une violence verbale dignes des trolls d’extrême droite. Y compris à l’égard de vos sympathisants, dès qu’ils émettaient la moindre réserve. Ainsi de vos méthodes peu ragoûtantes à l’égard du dessinateur Joan Sfar, qui n’en demandait pas tant, indique le Monde. Nous, quand nous avions des idées à défendre, nous descendions dans la rue, contre la loi Devaquet, pour Malik Oussekine ou lors des grèves de 1995, ou encore pour défendre l’intermittence du spectacle.

Mélenchon aussi a fait évoluer le « système » qu’il dénonce

Nous n’avons pas attendu votre camarade millionaire en veste d’ouvrier pour connaître les ravages du capitalisme, et notre conscience politique n’a pas poussé d’un coup au cours d’un meeting. Nous sommes bien moins naïfs que vous : nous savons, nous, que Mélenchon a contribué à faire évoluer ce prétendu « système » qu’il dénonce, comme le prouve ce portrait de Libération : «Ce n’est pas plus dur d’être dans un gouvernement en étant en désaccord avec certaines choses que d’être dans un groupe parlementaire et de voter pour un texte alors que l’on est contre », philosophait-il alors. Ajoutant, à propos des puissants qu’ils fustige aujourd’hui : « Tous ces gens ont quelque chose à m’apprendre. »

 

Vous avez, croyez-vous, un argument définitif : « Si on élit Macron, on a Le Pen en 2022 ! », braillez-vous tous en chœur en levant vos poings d’exclamations sur Twitter. Ah bon ? Vous savez prédire l’avenir ? Vous avez annoncé la victoire de Hollande en 2012, quand Strauss-Kahn partait favori un an plus tôt ? Vous avez vu venir le Brexit ? Vous avez présagé l’élection de Donald Trump dès sa candidature ? Vous avez pressenti ce quinquennat ? Non ? Alors épargnez-nous vos pronostics de Cassandres endoctrinées, d’accord ? Ou alors préférez-vous qu’elle soit élue cette année ?

Vous êtes bien défaitistes, pour des citoyens qui veulent changer la république ! Qui vous dit qu’au contraire, en vous construisant dans l’opposition, comme Mitterrand l’a fait avant 1981, vous n’aurez pas la victoire éclatante que vous espérez ? Alors, rentrez votre fiel au fond de votre gorge avant de proférer des inepties beaucoup moins bien articulées que les discours de votre stand-up politician.
Et posez-vous cette question : si Marine Le Pen est élue à cause de votre refus de lui faire barrage, qu’adviendra-t-il de votre France insoumise ?

Vous avez trouvé les répressions policières lors des manifestations contre les loi El-Khomri et Macron d’une violence inouïe ? Dites-vous bien que si Le Pen est élue, votre mouvement sera dissous comme l’ont été les mouvements d’extrême droite l’Œuvre  française, Troisième voie ou les Jeunesses nationalistes (par Hollande, que vous haïssez tant). Vous serez peut-être même mis en prison ou expulsés, voire exécutés. Votre liberté d’expression, profitez-en, parce qu’une fois le FN au pouvoir, faudra faire une croix dessus. C’était bien la peine de beugler sur tous les tons « Je suis Charlie » et de défiler en masse le 11 janvier !

Entre un ultralibéral qui préserve la démocratie (ou au moins ce qu’il en reste) et la République, et un parti qui veut anéantir l’une et l’autre, on n’a pas d’états d’âme. Ou alors on n’est pas de gauche. Et on donne raison à cette vieille maxime qui veut qu’en politique les extrêmes se rejoignent (et qui se vérifie, la preuve). Vous avez hurlé sur tous les tons que votre ex-socialiste et (ex-) trotskiste de champion était le seul à pourfendre le FN à longueur de discours. Giscard vous répondrait « Vous n’avez pas le monopole de l’antifascisme », et excusez du peu, mais on ne vous a pas attendus pour le combattre. D’ailleurs le Point relève que Benoît Hamon n’a pas retenu ses coups contre Marine Le Pen.

 

Et si vous pensez « oh bah si moi j’y vais pas c’est pas grave, les autres iront », réalisez que c’est justement le défaut de tous les sympathisants de gauche, toutes tendances confondues. L’électorat adverse, lui, va toujours aux urnes, par tous les temps, et c’est aussi un peu pour ça que la droite a gouverné si longtemps notre pays. Parce que même si Macron gagne les élections sans vos votes, l’enjeu est ailleurs : que le FN ait la défaite la plus cuisante possible. Mais vous, apparemment, ça ne vous en empêche pas de dormir, une France où Le Pen ferait plus de 30 %. Moi, si, et j’espère vivement ne pas être le seul. Je ne tiens vraiment pas à revivre mes crises d’angoisse insomniaques de l’entre-deux tours de 2002 à cause de votre suffisance d’idéologues mal léchés.

Vous n’avez même pas l’excuse d’être des ouvriers ou des paysans des kolkhozes de la Russie de 1917, et de rêver à des lendemains qui chantent en vous rangeant derrière Lénine, sans savoir ce qui vous attend ! Vous suivez, vous, un petit père des poulpes, et vous vous défendez comme ces mollusques, en crachant votre encre trempée dans le vitriol à quiconque ose contredire vos slogans uniformes. Pire : vous prétendez ne rien avoir à faire avec cette France qui pourrait être la nôtre avec le FN au pouvoir :

 

Mais ça n’a aucun sens ! Vous pensez vraiment que le programme de Marine Le Pen ne vous concernera pas ? Que vous serez immunisés contre ses mesures par votre statut d’auto-proclamés libres-penseurs qui répétez tous la même chose ? Ou bien fuirez-vous à l’étranger au lieu de résister ? En somme vous n’êtes insoumis que quand ça vous arrange ?

Ah, mais c’est vrai, tout ça c’est la faute des journalistes, de cette maudite presse qui n’a pas eu la décence d’acquiescer à tout ce qui passait par la tête de votre Che de bazar, et qui, sacrilège suprême, sont allés jusqu’à critiquer son programme ! Parce que bien qu’aux mains de divers groupes de plus en plus concentrés (à de rares exceptions près), elle est encore libre, la presse. Mais quand on voit comment Le Pen et ses troupes la traitent aujourd’hui, ça ne risque pas de durer si elle est élue par votre faute. On constate déjà les attaques répétées contre la Voix du nord par le maire FN d’Hénin-Beaumont, rapportés par L’Obs, alors imaginez ce que ça donnerait à l’échelle de la présidence. Vous voulez vraiment que Fdesouche, le Salon Beige, TV Libertés, Minute et Valeurs actuelles soient les seuls médias autorisés à couvrir l’information ? Vraiment ?

Quant à mes amis comédiens qui postent sur Facebook moult posts pour légitimer leur «non-choix », vous avez comparé les programmes de Le Pen et de Macron sur la culture ? Vous croyez que vous pourrez toujours jouer Genet, Beckett, Brecht, Dario Fo, Sony Labou Tansi et Maïakovski ? Vous imaginez réellement que vous pourrez faire vos heures tranquillement avec des spectacles engagés exaltant la tolérance et la diversité ? Vous devriez plutôt « rêver concret », car si le capitalisme honni a au moins une vertu, c’est que lui, il accepte sa critique. À moins que vous ne vouliez prendre le maquis ? Créer dans la clandestinité, comme Kosma et Trauner sur Les Enfants du paradis ? Vous trouvez que c’est un projet artistique viable ? Ça vous chagrine tant que ça, de ne pas avoir vécu l’oppression de l’Occupation ?

Car, oui, s’il faut en arriver là, utilisons le point Godwin, à bon escient pour une fois. En 1933, vous vous seriez abstenus ? Vous auriez voté blanc ? Comment ? Marine Le Pen n’est pas Hitler ? Vous en êtes sûrs ? On n’en sait rien. Pas plus qu’on ne savait ce que deviendrait le chancelier allemand élu démocratiquement. Sur RTL, Bertrand Delanoë a rappelé la responsabilité de la gauche radicale dans l’accession au pouvoir des nazis, précise Le Parisien : « Dans les années 30 en Allemagne, l’extrême gauche n’a pas voulu choisir entre les sociaux-démocrates et les nazis. Hitler a été élu par le suffrage universel. »

Même la vieille blague « la dictature c’est « ferme ta gueule », la démocratie, c’est « cause toujours »» démontre par l’absurde qu’une démocratie, si incomplète, si imparfaite soit-elle, on peut toujours en causer, justement. Bonne chance pour faire de même sous un régime totalitaire ! En vous obstinant dans votre refus d’agir, vous ne valez pas mieux que les zélateurs du « ni-ni» de Nicolas Sarkozy. Et vous serez tout aussi responsables de l’arrivée d’un parti fasciste au pouvoir.

Vous croyez que votre révolte est juste ? Vous êtes juste révoltants.