Nixon resigns

Richard Nixon avait dû démissionner de la présidence des USA en 1974 suite à l’affaire du « Watergate ». Cyril Hanouna subit en 2016 un scandale bien plus alarmant : on a critiqué son émission dans les colonnes du magazine Society. Retour sur les faits.

Par David Marquet

Cyril Hanouna, producteur-présentateur de l’émission « Touche pas à mon poste » (TPMP) sur D8, ne supporte pas les critiques. C’est du moins ce qu’on est en droit de penser quand il dresse au cours de son talk-show le procès du magazine Society, comme on peut le voir ici. En cause ? L’enquête que l’hebdomadaire a consacré à ce programme dans son numéro de la semaine dernière, et qui n’a pas eu l’heur de lui plaire.

Tout d’abord, il faut expliquer ce qu’est une « enquête », en termes journalistiques. C’est un genre d’article au long cours, qui cherche à répondre à une question. Prenons un exemple célèbre, résumée ici par Le Figaro, l’affaire du « Watergate » : le président Nixon a-t-il oui ou non fait espionner son adversaire politique, le parti démocrate, en utilisant les moyens de l’État ? Ou pour prendre un scandale plus récent : le président de l’UMP était-il au courant des fausses factures établies par la société Bygmalion pour couvrir l’excès des dépenses de campagne de Nicolas Sarkozy ? L’enquête est donc un type de « papier »  qui demande du temps, afin de recueillir un maximum de témoignages confirmant (ou infirmant) l’hypothèse de départ. Ces témoignages s’appellent des « sources », et, pour des raisons évidentes de confidentialité étant donné leur proximité avec les problèmes soulevés, elles restent souvent anonymes. Dans le cas du « Watergate », l’une d’elles, surnommée « Gorge Profonde », n’ a révélé sa véritable identité, directeur adjoint du FBI, que trente-trois ans plus tard, rappelle Le Parisien. Sa position au moment des faits ne lui permettait évidemment pas de parler à visage découvert.

Sachant cela, il est donc particulièrement étonnant que M. Hanouna accuse le travail des journalistes de Society d’avancer des choses « tellement  fausses qu’elles ont pu blesser les équipes et les chroniqueurs », résumant le tout à de « soi-disant révélations », tout en tenant à préciser « moi, je m’en fous un peu ». Si c’était vraiment le cas, pourquoi laisser le soin à ses chroniqueurs (et donc employés, quelles que soient leurs dénégations) de le défendre, chacun y allant de son couplet obséquieux pour se faire bien voir du patron ? Gilles Verdez assène : « C’est pas du journalisme correct : » affirmant que celui-ci se doit d’être « à charge et à décharge ». Vraiment ?

Que dire alors de ces « unes» du Point ou de Libération prises au hasard ? À moins bien sûr de considérer eux aussi les rédacteurs de ces deux titres comme des « pseudo-journalistes », terme qu’utilise François Viot, directeur de la rédaction de Télé Câble Sat hebdo, pour désigner les investigateurs de Society, un magazine « sérieux », atteste Rue89.

 

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De plus, il existe bien d’autres articles uniquement « à charge »  ou « à décharge » : les critiques, par exemple, ou les éditoriaux. Justement, Thierry Moreau, directeur de la publication de Télé 7  Jours, tient lors de l’émission à faire valoir celui qu’il a rédigé pour dire son incompréhension autour de ces polémiques. Outre que le caractère impartial d’un membre historique de l’émission soit hautement discutable, quand on sait, entre autres par Libération, qu’il occupa ce même poste à Ici Paris (ci-dessous un exemple de « une »), l’entendre donner des leçons de déontologie journalistique prête à rire.

 

Une "une" du magazine "Ici Paris". Toujours un grand moment de journalisme.
« Une » du magazine « Ici Paris ». Toujours un grand moment de journalisme.

 

Dans cet éditorial, il cite cette phrase d’Alphonse Allais (auteur d’humour absurde du XIXe siècle) : « Ne rien faire et laisser dire », en la lui attribuant, comme une conviction de l’auteur. Or, la phrase vient d’une nouvelle, Le Chambardoscope, dans laquelle un charlatan, M. Laflemme, utilise un prétendu détecteur de séismes pour ne pas payer son hôtel. Référence révélatrice. Surtout lorsque en plateau il compare Hanouna à Jacques Martin (créateur du Petit rapporteur, entre autres) qui, malgré des attaques similaires, est d’après lui aujourd’hui considéré comme un « génie ».

D’autres journalistes – sans aucun doute se considérant comme « véritables», comparés à leurs odieux confrères – font partie des chroniqueurs de l’émission. Il est par conséquent ahurissant de voir un Gilles Verdez, co-auteur avec Jacques Hennen d’un livre sur Manuel Valls, Le Conquistador ou un Jean-Michel Maire, qui fut chroniqueur judiciaire à feu France-Soir, s’indigner de l’anonymat des sources. Ce dernier ne les nomme pas toujours quand il écrit sur les coulisses de « Questions pour un champion » dans Le Figaro. Christophe Carrière, du service Culture de L’Express, n’hésite pas à être assassin quand des films ne lui plaisent pas.

Tout ça n’empêche bien sûr pas ces valeureux « intermittents du spectacle », comme Julien Courbet tient à le rappeler, à marteler qu’ils ont « d’autres jobs » et ne participent à l’émission que parce qu’ ils en ont « envie ». Le Figaro révélant que les chroniqueurs de TPMP touchent entre 400 € par émission et 7000 € par mois, on peut imaginer que ce soit une raison supplémentaire de ne pas se faire prier. Un salaire qui ferait rêver bien d’autres intermittents, qui, eux, crèvent la dalle, soit dit en passant.

Carrière juge même bon de mentionner un article de… L’Express sur Hanouna businessman : « C’est pas du tout pour passer de la pommade. (…) J’ai trouvé ça super intéressant », croit-il bon d’ajouter à son producteur. Il fulmine même quand on évoque la « rançon du succès ». « Je déteste cette expression. Vous n’avez rien volé ». Même si on comprend le sens, on ne voit pas bien le rapport entre une rançon et un cambriolage… Énora Malagré renchérit : « Le succès, en France, c’est forcément louche », et attaque à son tour Society, « un magazine que personne ne connaît, que personne ne lit », ce qui est, au pire, un mensonge éhonté, au mieux, de l’ignorance. Society a dépassé les 100 000 exemplaires en 2015, comme le relève Le Figaro, ce qui est loin d’être un échec en presse écrite. On l’aura compris : ces (pénibles) dix-huit minutes ne montrent que la volonté de ces irréprochables chroniqueurs d’être celui (ou celle) qui passera le mieux la brosse à reluire.

Cyril Hanouna se vante aussi de tout dire dans son émission, montrant les sms échangés avec Marc Baugé, rédacteur en chef de Society. Pourtant, vers la fin de la vidéo, il annonce avoir reçu un texto de soutien de Laurence Boccolini qu’on ne verra jamais à l’écran (un simple zoom de la caméra aurait suffi). Suivant cette même optique, il réduit à rien les scoops du magazine, racontant comment il avait trempé son sexe dans le verre d’Isabelle Morini-Bosc, ou, plus gracieux encore, déféqué dans une chaussure de Bertrand Chameroy. Preuves filmées à l’appui, il conclut qu’« il suffisait de regarder l’émission » pour le savoir. Alors, comment dire ? Cela va probablement paraître inouï au présentateur, mais son TPMP a beau friser les 2 millions de téléspectateurs, comme le note 20 minutes, ce chiffre est très en deçà de l’ensemble de la population française. Il se peut que parmi ceux-ci, certains ne la suivent pas, et parmi cette portion non négligeable, que ceux qui achètent Society n’en aient même jamais entendu parler. Il est donc du devoir des journalistes Victor Le Grand et Thomas Pitrel d’informer sur le contenu du sujet de leur enquête.

Chameroy a d’autre part annoncé son départ du programme dès le lendemain. Il parle de « besoin de recul »  et de ressentir « moins de plaisir » à faire ses chroniques – on peut le comprendre quand son patron a de telles pratiques. Mais il est frappant de voir Hanouna insister pour lui faire dire que c’est à cause « de tous ces articles ». Le malaise du jeune homme qui n’ose pas nier est flagrant, comme le relève Ouest-France. D’ailleurs, certains bruits courent sur la toile : il serait la « taupe » qui aurait révélé les dessous peu reluisants de l’émission, et aurait été remercié pour cette raison. En tout cas, tout comme Jean-Luc Lemoine, il était l’un des plus discrets le jour de ce règlement de comptes.

Excédé d’être traité de menteur, le directeur de la publication de Society, Franck Annese, a menacé de rendre publics les enregistrements des témoins ayant contribué à l’enquête, explique Le Figaro. Victor Legrand raconte d’ailleurs dans la presse qu’Hanouna « savait très bien à quoi s’attendre ». Une interview parue dans L’Express. Ce qui fera plaisir à Christophe Carrière, qui, comme on l’a vu, aime bien mettre en avant les collaborateurs de son propre magazine.