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Serge Gainsbourg le 24 novembre 1981. Il avait alors 53 ans,
7 mois et 22 jours.
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On commémore toujours la mort d’un artiste, jamais son anniversaire. Considérant que leur naissance importe plus pour leur œuvre, Le Jefferson Post fête les 88 ans qu’aurait Serge Gainsbourg aujourd’hui en imaginant ce qu’il serait devenu.

Par David Marquet

Il n’est pas si lointain le temps où le simple fait de prononcer son nom déclenchait l’admiration ou le dégoût. Serge Gainsbourg n’est pas de ces artistes qui suscitent l’indifférence. Aujourd’hui, ce serait son anniversaire (1). Il aurait 88 ans. Toute la presse a commémoré les vingt-cinq ans de sa mort, survenue le 2 mars 1991. On peut bien sûr relire avec délectation l’interview « post-mortem » qu’il avait accordée à Libération, et publiée deux jours après.

Mais rêvons un peu : Gainsbarre aujourd’hui, ça donnerait quoi ? Ferait-il toujours de la musique ? Serait-il toujours aussi provocateur ou se serait-il assagi ? Comment aurait-il réagi aux récents attentats en France ? Aurait-il un compte Facebook ? Twitterait-il frénétiquement ? Qu’aurait-il pensé du film de Joann Sfar ? Et surtout, aurait-il participé à La Nouvelle star, ou, pire, à The Voice ?

Sa musique
Deux albums se détachent clairement sur les cinq qu’il a écrit depuis 1991. Le premier, Le cœur à l’ouvrage (1993) a surpris tout le monde pour trois raisons. D’abord, son dépouillement. Gainsbourg est seul au piano sur les douze titres du disques. Ensuite, c’est son premier concept-album depuis L’Homme à tête de chou. Après avoir réchappé à une énième crise cardiaque en 1991, il a pour la première fois vraiment peur pour sa santé. Sans bien sûr renoncer à l’alcool ni à ses Gitanes chéries, il se calme un peu. « Les clous du cercueil », comme il les appelle, lui donnent l’idée de cette histoire, écrite à la première personne. L’artiste y rencontre la Mort, une femme, évidemment, tantôt séduisante, tantôt cruelle, qui lui propose de choisir entre Enfer et Paradis au cours d’un voyage. Gainsbourg opte en fin compte pour le Paradis, ce qui peut paraître étonnant. Mais c’est pour mieux rencontrer « Ces pervers qui me laissent perplexe/Ces anges supposément sans sexe ». Enfin, ce sont des chansons entièrement en français. Le chanteur déclarera : « J’ai failli tout perdre, j’avais besoin de  retrouver ma langue, au sens propre comme au figuré ».

Et bien sûr L’État orgasmique, sorti en janvier dernier, qui réussit la prouesse d’évoquer les attentats de janvier et de novembre sans jamais utiliser les mots « Bataclan », « Hyper Cacher » ou « Charlie hebdo », qu’il défendit dans l’émission Droit de réponse, de Michel Polac, alors que le journal s’arrêtait, avant de reprendre en 1992.

Dans cet album, Gainsbourg, plus engagé qu’à l’accoutumée, exhorte l’auditeur à ne pas céder à la peur des attentats, en trouvant « Cet état orgasmique/Où l’amour se conjugue/À l’imparfait cosmique/De nos corps qu’il subjugue ». Ce disque lui vaudra d’ailleurs sa première Victoire de la musique (autre que celle, d’honneur, obtenue en 1990) pour le meilleur album rock de 2016, au nez et à la barbe du Mandarine des Innocents, pourtant favoris, rappelle Le Midi Libre.

La provocation
Serge Gainsbourg se moque de la loi Évin, et il l’a prouvé à maintes reprises, la plus notable récemment sur le plateau de Cyril Hanouna. Quand celui-ci lui demande de ranger sa cigarette, le chanteur lui sourit, l’allume et lui rétorque : « Pourquoi crois-tu que je ne fais que des émissions en direct, p’tit gars ? » L’animateur, dépassé, finit par appeler la sécurité, provoquant l’hilarité de l’artiste, Gainsbourg lui répliquant que les flics sont ses potes, comme le rappelle Les Inrockuptibles.

C’est peut-être cet amour du politiquement incorrect qui l’a poussé, contre toute attente, à accepter de faire partie du jury de La Nouvelle star il y a deux ans. « Je suis conscient que je ne chante plus aussi bien qu’avant, mais quand je vois ces branleurs et ces pisseuses qui me massacrent en croyant me faire honneur, je les remets à leur place en les traitant de « javaniaises » et de « tronçonneurs des Lilas ».

Gainsbarre, vue critique sur Gainsbourg, vie héroïque
Quand Éric Elmosnino décroche le César du meilleur acteur pour le film « biographique » sur l’auteur-interprète, comme l’indique Madame Figaro, Gainsbourg fut très touché de l’hommage. En émettant toutefois cette réserve : « Moi j’ai une gueule, c’est un fait, mais lui, il a vraiment une sale gueule ». Déjà, par le passé, il avait refusé à Jean Becker d’utiliser sa musique pour son projet de film Élisa, rétorquant au réalisateur : « Personne ne croira que Gérard  (Depardieu) a écrit ma musique. Prends Guy Béart, lui, il est à la portée de tout le monde ». Car Gainsbourg n’aime pas les chanteurs aux rimes en « ère » et en « age », comme il l’avait signifié à Béart avec un mépris souverain, sur Apostrophes en 1986 :

Les réseaux sociaux
Serge Gainsbourg a été l’un des premiers artistes français à ouvrir son compte Facebook, dès 2004, et un compte Twitter deux ans plus tard. Son public ayant rajeuni, il met un point d’honneur à répondre à tous ceux qui l’amusent, et à envoyer « se faire voir chez Google + » ceux qui l’exaspèrent. Devant certains journalistes ébahis, il démontre qu’il n’y a rien d’étonnant à cela, concernant ceux qu’il préfère appeler ses « fanatiques ». « Je leur répondais déjà moi-même avant par la poste, les réseaux sociaux sont juste les courriers d’aujourd’hui. Sans timbre et sans enveloppe, la substance est la même ». Son histoire avec Constance Meyer le prouve. Cette adolescente de seize ans lui avait écrit une lettre énamourée avec son numéro de téléphone. S’ensuivit une relation passionnée, que Bambou acceptait, laissant les semaines à la gamine pour se réserver les week-ends, comme le raconte Libération.

Revenons (hélas) à la réalité. Gainsbourg est bel et bien mort, et il nous manque. Il n’existe plus aujourd’hui de compositeur populaire alliant ses insolences talentueuses à son talent insolent. Mais, y compris à la télé, sa pudeur affleurait parfois. Tout comme sa générosité, sans quoi il n’existe pas de véritable artiste. Car si tout le monde se souvient du scandale qu’il provoqua en brûlant un billet de 500 francs sur le plateau de 7 sur 7, on a beaucoup moins retenu cet extrait du Jeu de la vérité, où, après qu’une téléspectatrice lui demande pourquoi il a refusé de participer à SOS Éthiopie de son pote Renaud, il signe, en direct également, un chèque de 100 000 francs à Médecins sans frontières. Classieux, non ?

 

1. Je n’ai aucun mérite à m’en souvenir, c’est aussi le mien !