Le nouvel album de Renaud a atteint 500 000 ventes en six semaines. Pas mal après dix ans d'absence(s). Photo : DSJC.
Le nouvel album de Renaud a atteint 500 000 ventes en six semaines. Pas mal après dix ans d’absence(s). Photo : DSJC.

 

Après dix ans d’attente, le nouvel album de Renaud est une belle surprise. S’il n’égale pas d’autres disques plus aboutis, on ne peut s’empêcher de se réjouir à l’écoute de ces treize chansons qui annoncent un retour en force et en beauté du chanteur.

Par David Marquet 

On l’avoue : on avait peur.

Quand on aime Renaud depuis qu’on est gamin, et qu’on a rougi jusqu’au sang de déception à son précédent album, on a une trouille aussi bleue que la pochette du nouveau avant de l’écouter. Et les critiques diamétralement opposées du Monde et de 20 minutes n’aident vraiment pas. Mais comme on a une profonde sympathie pour le bonhomme, et comme surtout, après avoir eu le cœur serré à voir son sur son visage de minot les ravages « Que la vie cruelle et sauvage/Et les années et les jours passés/Ont infligé à (son) image », la tentation de retrouver l’homme aux « ta ta tainn » est plus forte, et l’on se plonge dans ce nouveau disque comme lui naguère dans les yeux de Dominique.

(Après tout, à l’époque où on ne l’écoutait plus pour on ne sait plus bien quelle raison qui paraissait justifiée alors, n’avait-on pas fini par se ruer sur ses deux derniers CD pour ne pas se sentir trop largué au concert de la Mutualité de 1995, qu’on entendait – mal – du haut de sa chambre de bonne de la rue Monge, où l’on s’était rendu à force de frustration ?)

Pourtant, on le dira d’emblée, ce nouvel opus n’est pas comparable à Marchand de cailloux, À la belle de mai ou Boucan d’enfer. Mais il est très au-dessus de Rouge sang, et c’est déjà pas mal.

Composé presque exclusivement de chansons douces et souvent tristes ou mélancoliques, cet album est à l’image du nouveau surnom que s’est choisi le chanteur : le phénix. On se trouve tout au début de la renaissance du piaf, qui se débat encore des ailes pour sortir de ses cendres. C’est ce qui en fait la beauté : tout au long des treize chansons, Renaud lutte contre lui-même.

Contre sa voix d’abord, plus ou moins défaillante selon les pistes, voire selon les couplets. Néanmoins, mis à part deux refrains (Dylan et J’ai embrassé un flic), il ne cède pas à la facilité des chœurs pour couvrir ce timbre flingué par l’anisette et les clopes qu’il ne fume plus et boit si peu désormais.

Contre son inspiration ensuite, aussi volatile que l’oiseau légendaire qui plane avec plus ou moins d’agilité sur ses textes. Que l’on s’entende bien : il n’est pas question ici, comme le font tant de critiques culturels, de déclarer péremptoirement que l’artiste « est passé à côté de son sujet » ou « qu’il aurait dû privilégier un autre traitement ». On connaît trop bien l’angoisse de la page blanche pour fustiger celui qui parvient malgré tout à la noircir.

Contre son humour, enfin, si particulier, et quasiment absent des treize titres. Peut-on l’en blâmer ? Outre ses déboires plus que de raison intimes, dont il se remet tout juste, l’année 2015 – qui fut pourrie pour tout le monde – lui a vu perdre des potes en masse : l’équipe de Charlie-Hebdo, dont il avait financé en partie la reparution en 1992, comme le rappelle La Charente libre. Renaud n’a pas envie de rire, et c’est une grande honnêteté de sa part de ne pas faire semblant de faire le clown quand devant tant de tragédies : massacre et prise d’otages dans Hyper Chacher, prostitution forcée dans Petite fille slave, mort d’un proche sur la route dans Dylan ou constat de sa propre déchéance physique dans La vie est moche et c’est trop court. Chanson pourtant moins pessimiste qu’il y paraît, car c’est plus une diapositive d’une émotion à un moment donné qu’une affirmation définitive.

 

Un des nouveaux clichés de Renaud dans cet album Photo : DSJC
Renaud, tel un phénix Photo : DSJC

 

Renaud n’a pas envie de rire, ni de faire semblant

D’autres textes, magnifiques, Héloïse, et ses rimes en « ise » suivant la ballade émerveillée de sa petite-fille – dans la « ville banquise », ou le périple épris de liberté de l’héroïne sans nom de Mulholland drive prouvent que le chanteur aime toujours la vie et les coquillettes, le musette et… non, la bière, sûrement moins ces temps-ci. Cette ballade, par son sujet – une jeune fille qui quitte le domicile familial pour partir à l’aventure, n’est pas sans rappeler, en plus sombre, She’s Leaving Homedes Beatles. Et il faut retenir aussi le slam commandé au départ par Grand Corps Malade en fin d’année dernière. Car si les paroles ne feront pas date comme par exemple celles de Chanson pour Pierrot, Ta batterie restera comme le déclencheur de son retour à l’écriture, relève France Inter

Du coup, à ces deux trois exceptions près, ces chansons sont frustrantes. Après tant d’années d’attentes, quoi qu’il proclame aujourd’hui : « Il est pas né ou mal barré/Le crétin qui voudra m’enterrer », on s’était résigné à l’idée que peut-être il n’écrirait peut-être plus jamais, donc on attendait plus de cette langue qui n’appartient qu’à lui. Plus d’histoires foisonnantes, plus d’expressions personnelles, plus de vocabulaire portedoléanais et quatozièmarrondissementiste, toutes choses qui ont fait de ses chansons un genre à part entière.

Pour autant, c’est aussi l’intérêt de ces paroles : comme lui sur la pochette, elles se présentent torse nu, et pour la première fois, Renaud assume pleinement la littérature, puisqu’il ne leur appose même pas (ou si peu) les tatouages de l’argot dont il est d’habitude si friand. Et l’on sent aussi le chanteur mal à l’aise pour parler de sujets qui le touchent de trop près, comme dans Les Mots, où ceux-ci lui font bizarrement défaut pour les célébrer en y imprimant son verbe.

Encore plus étrange, cette chanson est la plus mystique de l’interprète, où les mots rapprochent plus « des anges que des angoisses » et sont un « don du ciel ». Ce qui est d’autant plus paradoxal qu’il y a de la « haine plein le ciel » dans les attentats du supermarché cacher. En même temps, rien n’empêche au poète de décrire plusieurs versions du firmament…

On pardonnera au chanteur énervant de dire haut et fort qu’il n’a « même pas internet », alors que son compte Facebook compte 1 069 798 abonnés, de même qu’on oubliera qu’il exagère très légèrement en prétendant avoir « vécu Midnight Express » pour avoir passé La Nuit en taule. Parce qu’on ne va pas bouder son plaisir.

D’autant qu’il y a une surprise dans cet album, qui arrive après une plage de silence : un slam franchement comique, et le texte le plus cochon qu’ait écrit l’auteur. Preuve que le prochain album de Renaud saura combler les attentes que celui-ci n’a qu’en partie satisfaites.

On peut souffler : on n’a plus peur. On va même le réécouter, tiens.