De gauche à droite : François Rebsamen, ancien ministre du Travail et maire de Dijon, Dominique Méda, philosophe et sociologue, Misoo Yoon, directrice adjointe de Pôle emploi chargée de l'offre de services, Pierre Cahuc, économiste, et Pascal Terrasse, député PS de l'Ardèche. Photo : DSJC.

    De gauche à droite : François Rebsamen, ancien ministre du Travail et maire de Dijon, Dominique Méda, philosophe et sociologue, Misoo Yoon, directrice adjointe de Pôle emploi chargée de l’offre de services, Pierre Cahuc, économiste, et Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche. Photo : DSJC.

Solidarité, compétitivité, syndicalisme et emploi furent les quatre thèmes abordés lors du forum Libération sur le modèle social français. Le Jefferson Post y était.

Troisième et dernière partie de notre compte-rendu du forum organisé par Libération : « France, un modèle social à suivre ? » Où les représentants syndicaux veulent à tout prix garder le micro avant un débat sur l’emploi où l’on n’apprend pas grand-chose. Et puis Le Jefferson Post pose la question qui fâche.

Par David Marquet

La question du Jefferson Post jette un froid dans l’assistance. Pierre Cahuc, économiste, et Misa Yoon, directrice générale adjointe en charge de l’offre des services à Pôle emploi ne s’attendaient visiblement pas à ça. Mais avant que Le Jefferson Post ne vous la révèle avec leurs réponses – et elles valent leur pesant de caramels mous – retour sur la fin de cette journée de débats.

Celui sur le rôle des syndicats s’est avéré plutôt stérile, chacun des sept représentants présents (FO, CFTC, CFE-CGC, CFDT CGT et CGPME) semblant avoir pour objectif premier de parler aussi longtemps que les autres, au détriment des questions du public, ramenées du coup à peau de chagrin. On en retiendra la précision utile de Mohammed Oussedik, de la direction nationale de CGT : « 87 % des salariés sont couverts par les conventions collectives, qu’ils soient syndiqués ou non» , et l’ironie historique pointée par Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO : « François Hollande écrivait en 2006 : »Le 49.3 est l’arme lourde des exécutifs faibles » ». Avant de l’utiliser pour la loi travail (entre autres), rappelle le Monde. Loi qui mécontente à part presque égale ces syndicats d’ouvriers, de cadres et de patrons, pour des raisons souvent opposées, mais pas toujours.

Les deux contributions les plus intéressantes sont venues de François Hommeril, président de la CFE-CGC. Partant en guerre contre l’étiquette réformiste, il soutient avec raison que « ce terme intègre dans son contenu l’idée qu’il faudrait changer sans savoir où l’on va ». Il ajoute :  « ll faut arrêter de penser que le bonheur de tous sera assuré par la somme des petits malheurs de chacun », phrase qui contribue à lui donner une image nettement plus complexe que l’étiquette somme toute simpliste associée à son syndicat.

Mais c’est le sociologue Alain Touraine qui remporte le morceau, en claquant métaphoriquement le beignet de tous ces défenseurs de conventions collectives par un magistral : « Vous êtes moins importants qu’en 1936, et vous perdez de plus en plus de terrain. Comment se fait-il que le syndicalisme pèse aussi peu dans la vie collective, personnelle, nationale ? » Constat cruel mais juste qui les laissa tous sans voix (pour une fois).

À Pôle emploi, rien de bien nouveau (à part des chômeurs)

Pourquoi avoir choisir la fin de la journée pour parler de l’emploi quand la France compte plus de 3 millions de chômeurs ? Mystère. Peut-être parce qu’hélas, les bonnes nouvelles sont ténues, et que les théories, si valeureuses soient-elles, n’inverseront pas de sitôt la courbe du chômage.

Pour cette raison, on a du mal à croire que « le CDI représente 61 % des contrats », comme l’affirme Misoo Yoon, directrice adjointe de Pôle emploi. Mais aucun en revanche à imaginer que grâce à l’institution « 1,9 millions de personnes travaillent, mais veulent faire autre chose ». Elle souligne cependant avec raison « un effort immense de 500 000 formations », voulues par François Hollande, et un « accès à plus de réinsertion professionnelle ». L’économiste Pierre Cahuc a d’ailleurs la solution : « Il y a des économies qui fonctionnent en termes d’emploi. Il faut donner les moyens aux personnes de se réorienter dans les secteurs d’emploi qui fonctionnent. »

Ce sont clairement l’ancien ministre du travail François Rebsamen et le député Pascal Terrasse qui donnent un sens plein à l’adjectif « socialiste » de leur parti. Pour le maire de Dijon, le développement des services à la personne est une piste sérieuse, du fait notamment du vieillissement de la population. Un travail qu’il faudra qualifier, insiste-t-il : « Ce ne sont pas des sous-emplois. » Pascal Terrasse, quant à lui, reconnaît que « sur 1 millions d’auto-entrepreneurs, 10 % ont un revenu supérieur au SMIC » et ont choisi ce statut créé sous Nicolas Sarkozy, rappelle les Échos. Mais il s’inquiète bien plus des 90 % qui eux le subissent. Et prévient : « Si on n’imagine pas à quoi pourrait ressembler la société en 2030, on fait fausse route. » Rebsamen apporte cette précision : « Le but à poursuivre, c’est une harmonisation – sociale, fiscale, environnementale –  par le haut. »

Viennent ensuite les questions, dont celle du Jefferson Post (cf. plus haut).

« M. Cahuc, vous avez dit à deux reprises qu’il fallait trouver les moyens pour les personnes de se réadapter, ne faudrait-il pas plutôt adapter les moyens aux personnes ? Ou doivent-elles se réorienter dans des secteurs où elles n’ont pas d’affinités simplement parce que ceux-ci embauchent ? Madame Soon, vous avez rappelé l’effort des 500 000 formations professionnelles proposées aux demandeurs d’emploi, mais que fait-on pour ceux qui en possèdent déjà une et ne trouvent pas de travail car on leur demande au minimum trois ans d’expérience ? »

Pierre Cahuc s’en sort plutôt bien, et se veut rassurant : « Il s’agit évidemment de donner aux personnes les moyens de s’adapter. Ça veut dire penser un système cohérent dans lequel on articule à la fois le contrat de travail et la manière dont on peut être accompagné vers ces autres emplois. Cela nécessite certainement une meilleure coordination du service public de l’emploi et des organismes de formation. » Ce qui ne l’empêche pas de citer le Japon en exemple, où « 95 % des jeunes qui arrêtent leurs études au niveau du bac sont placés dans les entreprises par les lycées, chacun d’eux entretenant une relation de long terme avec celles-ci ». Le Japon arrive en dernière position pour le bien-être des salariés, relève l’Obs, mais c’est sans doute hors sujet : au moins, ils travaillent, eux.

La réponse de Misoo Yoon est plus embarrassante. La voici in extenso : « On soutient évidemment les demandeurs d’emploi sur la qualification, mais aussi sur l’accompagnement et les prestations complémentaires qui pourraient accélérer un retour à l’emploi. Mais on essaie d’agir aussi sur la confiance des recruteurs, parce que c’est aussi là que ça se joue. Nous avons installé dans l’ensemble des agences de Pôle emploi 4200 conseillers dédiés à la relation à l’entreprise. Pourquoi ? Parce que quand un conseiller fait cette « prospection civile » – présenter et promouvoir les profils des demandeurs d’emploi, montrer qu’il y a des opportunités qui peuvent leur correspondre on observe, d’une part, qu’on capte plus de CDI, cela a un impact sur la durée des contrats proposés. Mais de manière plus générale, on crée un peu d’activité. C’est assez étonnant, mais nous nous sommes rendu compte que le fait de créer une relation de confiance peut permettre de transformer l’essai. Et c’est pour ça que nous investissons beaucoup sur ce champ-là. Après, on expérimente, on innove, on essaie des choses, on n’a pas de solutions toutes prêtes, du coup on essaie sur le terrain, de façon très concrète, de mener des expérimentations locales, de tester des dispositifs d’adaptations aux postes qui permettent là aussi de convaincre, à un moment donné, de prendre ce que l’employeur peut considérer être un risque, de recruter quelqu’un qu’il ne connaît pas bien, pour lui proposer une formation préalable au recrutement. C’est ce type d’actions qu’on essaie de… qu’on met en place, concrètement, qui fonctionnent, qui montrent des effets.

Donc, pour trouver un travail, il suffit de connaître son futur employeur ? C’est tellement simple, en fait. Encore faut-il que le chômeur réussisse à en rencontrer un, mais ça non plus ça ne doit pas être bien compliqué. Elle ajoute aussitôt , un peu déroutée : « Après, sur l’ensemble, nous avons évidemment des histoires qui se passent moins bien que celle que je vous raconte aujourd’hui. » Ah bon ! On a eu peur que ça marche à chaque coup. Dominique Méda, sociologue et philosophe, vient à sa rescousse : « Pôle emploi ne peut pas inventer des emplois qui n’existent pas, quand même… » Non, évidemment, ce serait déraisonnable, et malhonnête.

Pour mémoire, l’Agence nationale pour l’emploi, créée en 1967 sous l’impulsion de Jacques Chirac, était comme Pôle emploi une « institution nationale provisoire ». Elles fêteront leurs 50 ans l’an prochain.