Luke Skywalker, abasourdi par le massacre de la saga.

Les Derniers Jedi détruit brutalement tout ce que l’épisode précédent avait mis en place. La Force n’est décidément plus ce qu’elle était.

Par David Marquet

« Tel que tu l’as connu, Star Wars jamais plus ne sera ». Ce pourrait être le message de Yoda aux amoureux de la première trilogie. Ce nouvel opus sape un à un les fondements mis en en place par Le Réveil de la Force, l’épisode précédent, sorti en 2015. On a pu reprocher à son réalisateur J. J. Abrams un certain fan-service. Du moins préservait-il une continuité, trente-deux ans après, avec Le Retour du Jedi (1983). Son scénario, co-signé avec Lawrence Kasdan (auteur de L’Empire contre-attaque, 1980) créait de nouveaux personnages captivants et modernes. Qui plus est, Han Solo, la princesse Leia et Luke Skywalker prouvaient, même vieillis, qu’ils étaient toujours prêts à nous émerveiller.

Rien de tout cela dans Les Derniers Jedi, dont le but avoué est de tirer un trait définitif sur le passé. Un personnage le proclame sans équivoque : : « Il faut laisser les veilles choses mourir. Et s’il le faut, les tuer ». De ce point de vue, Rian Johnson, premier réalisateur à écrire le script seul depuis George Lucas, réussit parfaitement son entreprise. Le résultat est catastrophique, en dépit de rares fulgurances dans la réalisation, les décors ou le jeu des acteurs (surtout ceux qui n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent).

En vrac : une quête interminable et inutile (qui fait perdre toute sa sympathie à l’un des personnages), les prouesses invraisemblables et grotesques d’une des icônes de la série, et surtout le je-m’en-foutisme d’un des symboles de la saga. Le tout plombé d’un humour omniprésent et puéril, qui pèse au point d’ôter toute envie au spectateur de prendre le récit au sérieux.

« Un Star Wars au scénario pathétique tu écriras »

De tragédie, dont elle contient tous les éléments (la guerre, le destin, la foi, les relations familiales torturées), Star Wars se mue ici en vaudeville sans âme. Qu’on en juge : le principal antagoniste passe du côté obscur, à cause… d’un quiproquo ! Qu’apparemment aucune des figures d’autorité n’ont cru bon de dissiper en trente ans. Pour tout empirer, les retournements de situations incessants empêchent d’accrocher à l’histoire.

Une histoire qui s’acharne à claquer rageusement toutes les portes que Le Réveil de la Force a pris la peine d’entrebâiller. La Résistance n’a plus de Résistance que le nom. Excepté l’un de ses membres, on ne ressent jamais leur volonté d’éradiquer le Premier Ordre. Un personnage novice affiche une désinvolture totale face aux enseignements de ses aînés. Un autre, pétri d’énigmes et de secrets, endosse le rôle de conseiller à distance, tout en se battant « contre des syndicalistes, je vous passe les détails » (message subliminal de Disney, qui possède la franchise, à ses salariés tentés de revendiquer leurs droits ?) Un autre encore, si sympathique dans Le Réveil de la Force, exaspère à force d’incompétence, et son tout-nouveau side-kick sidère par sa vacuité. Des trois parties du film, leur « aventure » est la plus vaine, au sens propre : elle n’aboutit à rien. Sinon à rallonger inutilement le film, 2h32 au compteur : le plus long (et le plus pénible) de la saga. On se surprend à regarder sa montre, un comble pour Star Wars.

Par ailleurs, plutôt que d’intenter des procès infondés au Réveil de la Force, on ferait mieux de mettre cet épisode-ci sur la sellette. Les figures secondaires chères aux fans de la première heure cumulent moins de dix minutes à l’écran. La première n’a qu’une réplique, la deuxième réduite à faire le taxi. Pire : la troisième surgit lors d’un deus ex-machina dont le film regorge, uniquement pour mettre (littéralement) le feu à ce qu’il a toujours ardemment défendu… en se justifiant d’une phrase reniant son essence même.

On s’en doute, les méchants ne sont pas mieux lotis. Tous sont décrédibilisés ou presque. Du commandant piégé par un canular téléphonique (si, si) au seigneur en pyjama lamé or maîtrisant prétendument la Force mais qui se fait avoir comme le premier padawan venu, aucun n’arrive à la cheville de Darth Vader, qui brillait par sa noirceur et sa complexité.

« La Force, en ridicule tu tourneras »

Le Premier Ordre, qui a mille fois l’occasion de terrasser son ennemi, ne passe jamais à l’acte. En cause, l’atermoiement d’un de leurs leaders et leur obsession à capturer un héros qu’ils jugent la seule menace à leur tyrannie, alors que celui-ci s’en moque éperdument. La Résistance de son côté enchaîne les mauvaises décisions, minée par d’absurdes luttes de pouvoir. Rian Johnson remet même en cause leur intégrité morale, ça veut tout dire. Comment espérer qu’ils triomphent après ça ?

Même la Force est tournée en ridicule. Hormis deux affrontements où on lui fait l’aumône de quelque valeur, on insulte l’intelligence du public en lui assurant que « ce n’est pas seulement soulever des rochers ». Pourtant son usage à l’écran permet sérieusement d’en douter. Cette puissance mystérieuse, impalpable, se voit rabaissée à un schéma scolaire et manichéen, au travers d’un mini-documentaire inepte au décor niais au possible. « Que la Force soit avec vous », la phrase emblématique, doit être jetée aux oubliettes, nous fait-on lourdement comprendre. Présentée comme « une ancienne religion » dans les premiers films, elle est rabaissée ici à une sorte de super-pouvoir tape-à-l’œil, dont on peut se servir sans respect de ceux qui tentent de la pérenniser.

« À L’Empire contre-attaque, à tort, tu te compareras »

Enfin, le combat final prend fin trop vite, et n’est même pas un réel face-face. Il mène sans ménagement à l’anéantissement d’une figure pionnière de la série, dont le parcours aurait vraiment mérité une fin plus digne, surtout après avoir attendu son retour plus de trente ans…

Ce qui n’empêche pas les critiques presse d’être relativement bonnes, comme le prouvent les articles du Mondede L’Obsdu Figaro ou de Libération. Pour autant, très éloigné de la noirceur éclatante de L’Empire contre-attaque, auquel on le compare bien trop hâtivement (un argument qu’on peut du reste défaire aisément), Les Derniers Jedi se présente avant tout comme un produit franchisé, qui cherche à s’attirer un nouveau public, au détriment de ceux qui ont grandi avec la saga. La dernière image prouve d’ailleurs sans ambages la mainmise de Disney, qui ne cible plus désormais que les mouflets envahissant leurs parcs pour réclamer à leurs parents les multiples produits dérivés.