Rien de pire qu’un type intelligent qui s’amuse à passer pour un imbécile.
Photo: OECD/Andrew Wheeler
Plusieurs journalistes ont été interrogés par la DGSI pour découvrir leur sources. Une nouvelle inquiétante à la fois pour la liberté de la presse et la démocratie.

Par David Marquet

Huit journalistes. Huit journalistes ont été entendus par la Direction générale du renseignement intérieur (DGSI) pour «compromission du secret-défense». En cause ? Leurs enquêtes, sur l’affaire Benalla ou les armes françaises au Yémen, embarrassantes pour l’État. Qui s’offusque de tels agissements, par la voix de son inénarrable porte-parole, Sibeth Ndiaye, déclarant sur Europe 1 le 23 mai : «les journalistes sont des justiciables comme les autres». Une manière de justifier les interrogatoires infligés aux dits journalistes afin d’obtenir le nom de leurs sources.

Sauf que c’est d’une ânerie sans nom de dire une énormité pareille, a fortiori lorsqu’on est porte-parole de la République (fût-elle en marche). Il n’était pourtant pas très difficile d’éviter une telle bourde, car la loi du 28 juillet 1881 sur la liberté de la presse (qui va donc bientôt fêter ses 138 ans) est accessible d’un simple clic sur le site legifrance.fr, un site créé par… le gouvernement, justement.

L’article stipule que «le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public». C’est déjà assez clair. Mais il y a mieux. «Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.»

Malgré ce texte pourtant limpide, Ariane Chemin, grand reporter au Monde qui a mis au jour l’affaire Benalla et Louis Dreyfus, président du directoire du journal, Valentine Oberti, de Quotidien, qui enquêtait sur la possible utilisation d’armes françaises sur des civils au Yémen tout comme trois journalistes de Disclose et un de France Inter, ont été interrogés par la DGSI comme de vulgaires terroristes. Ariane Chemin détaille à Ouest-France les conditions de son interrogatoire, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a une véritable tentative d’intimidation.

On aurait pu croire, et même espérer, qu’Emmanuel Macron allait rappeler à l’ordre son impétueuse porte-parole. Il n’en fut rien. Dès le lendemain, dans les colonnes de Libération, le Président a estimé que «la liberté de la presse et des sources est totale, mais elle doit être composée avec la liberté des autres», prouvant que lui-même ne connaît pas la loi pré-citée, ce qui n’est guère rassurant. D’autant que sans sources, on n’aurait rien su de l’affaire du Rainbow-Warrior, du sang contaminé, de Bygmalion, des Swiss Leaks, etc. C’est un peu comme si le chef de l’État déclarait en substance que «la presse est libre, sauf quand je ne suis pas d’accord».

Pour riposter à cette attaque contre leur métier, une quarantaine de sociétés de journalistes et de rédacteurs ont lancé un appel pour rappeler que «la protection des sources a été consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme comme « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse », et que le secret-défense ne saurait être opposé au droit à l’information», poursuit le quotidien. Si même l’Europe le dit…

Mais quand un président français connu pour se méfier des journalistes cherche à réduire la liberté d’être informé, il y a de quoi s’inquiéter pour notre démocratie.