Christophe Ramaux, un économiste atterré (et très agité).
Christophe Ramaux, un économiste atterré (et très agité). Photo : DSJC.

Solidarité, compétitivité, syndicalisme et emploi furent les quatre thèmes abordés lors du forum Libération sur le modèle social français. Le Jefferson Post y était.

Deuxième partie de notre compte-rendu du forum organisé par Libération de samedi. Où l’on découvre que les mesures sociales et la compétitivité ne sont pas incompatibles. Mieux : elles sont interdépendantes et se complètent.

Par David Marquet

En présentant le premier invité, Laurent Joffrin, directeur de la rédaction et de la publication de Libération, se fait taquin : « Louis Gallois, l’homme qui parle à l’oreille de Hollande ? ». « Oh non ! » répond celui-ci, un peu gêné. Le président du conseil de surveillance de PSA a pourtant écrit le rapport Gallois inspirant au gouvernement le crédit d’impôt emploi compétitivité (CICE). Vingt-cinq milliards de cadeaux fiscaux aux entreprises sans contrepartie, aux effets bénéfiques discutables, à en croire, justement, Libération.

Christian Schmidt de la Brélie, continue Joffrin, redevenu sérieux, est directeur général de Klesia, caisse de retraite de secteurs comme la publicité ou la restauration. L’Humanité nous apprend que Klesia a été condamnée dès sa création, mais c’est un partenaire du forum, le Jefferson Post évitera donc le sujet.

Enfin il introduit trois économistes : Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, « outil de concertation » et de « pilotage stratégique » rattaché à Matignon, Pierre Pestieau, professeur à l’université de Liège, et Christophe Ramaux, membre des Économistes atterrés, chercheur à la Sorbonne. Une discussion courtoise mais animée s’annonçait donc entre ces cinq-là.

Son poste de haut dirigeant n’empêche pas Louis Gallois de porter des idées sociales très altruistes. Loin de ces clichés de classes, il cite une étude de l’OCDE de 2006, révèlant que « les sociétés les moins inégalitaires sont les plus productrices ». D’ailleurs il prône la « mise sous conditions de ressources d’un certain nombre de prestations » comme une évidence : « On ne va pas donner aux plus hauts revenus».

Pierre Pestieau acquiesce : « Certains programmes visant à aider des personnes dans le besoin échouent totalement, et ce sont des gens plus favorisés qui en profitent. » De même, Gallois regrette que « l’appareil de formation professionnelle ne s’adresse pas assez aux chômeurs » et relativise les « 350 millions d’euros de fraude au RSA »  bien légers face aux « 180 milliards de fraude fiscale des entreprises ».

Pierre Pestieau enchaîne pour approuver Thomas Piketty – l’auteur du Capital au XXIe siècle –  qui souhaite « une fiscalisation mondiale »  des grands groupes. Même si selon lui « il faut cesser de rêver un avenir où l’Union européenne serait entièrement coopérative », le système social français si décrié bénéficie à l’économie. « Sur le long terme, l’État-providence a eu un effet positif indéniable sur la croissance », constatable en mesurant sa « performance ». « L’éducation est la clé pour développer la compétitivité », ajoute Gallois.

Christian Schmidt de la Brélie est plus mitigé : « les jeunes Afghans croient plus en leur système de retraites que les jeunes Français ». Et plus confus : « 8 Français sur 10 plébiscitent notre modèle social », soit 82 % de la population… donc forcément aussi des jeunes. Le Parisien confirme ce chiffre d’un sondage TNS-Sofres, mais qui date de 2012… À propos de la récente fermeture d’Alstom à Belfort, il fustige « l’incapacité des forces publiques à accompagner les changements ». Une cacophonie entre le PDG de l’usine de transports et François Hollande : le président voulait maintenir l’usine et le patron les emplois. Au bout de dix années sans construire de locomotives il s’est résigné à cette issue, souligne l’Expansion.

Christophe Ramaux rebondit immédiatement sur ces faits et sa chaise, le verbe et les mains agités : « les chefs d’entreprise répètent qu’ils ne peuvent pas embaucher car leurs carnets de commandes ne sont pas pleins, et n’accusent pas le coût du travail ». Ulcéré que l’on réduise l’État-providence « à la seule protection sociale », il y voit « une révolution qui n’a pas été pensée ». « Dans tous les pays du monde, y compris libéraux, explique-t-il, on vit dans une économie mixte. La concurrence a du bon, mais l’intervention publique joue un rôle primordial. » Dès que Jean Pisani-Ferry critique, comme le Figaro, les «108 milliards pour l’emploi, et d’une qualité inférieure à des pays dépensant moins », ou « la situation des retraites meilleure que ce que l’on pense », il lève les yeux au ciel, souffle et trépigne de plus belle.

Sa vision, macro-économique, keynésienne, interdit à Ramaux de réfléchir de manière franco-française : « le système le plus socialiste, en un sens, c’est le Royaume-Uni, avec le National Health Service (NHS)». Le NHS vient pourtant de connaître la plus grande grève de son histoire, indique le Monde. « L’intérêt général n’est pas réductible aux intérêts particuliers. », insiste-t-il, vantant « la protection sociale représentant 32 % du PIB en France, contre 18 % aux États-Unis » : il fait donc bon être un salarié hexagonal, relève avec humour France culture. Défenseur acharné de la dépense publique, « qui soutient directement ou indirectement celle des ménages », il martèle que « le libéralisme économique est responsable du chômage », même si « des sphères entières d’activité échappent au capital ». Sa dernière phrase, pleine de poésie – « avec le système de retraites, on a transformé l’antichambre de la mort en possibilité du bonheur » lui vaut une petite ovation.

La fougue des débatteurs a réduit d’autant les réponses au public (mais les syndicalistes feront bien pire juste après). Une question se détache, concernant Altice, la société ayant racheté SFR, prévoyant de licencier un tiers des employés de l’opérateur en 2017, selon le Monde. « Je ne connais pas le cas d’Altice, donc je ne commenterai pas », répond sobrement Jean-Pisani-Ferry. Francs éclats de rires dans la salle. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’Altice possède aussi des médias : l’Étudiant, RMC, Stratégies, l’Express et… Libération, qui nous accueille.
Même Laurent Joffrin a eu un sourire. Un sourire qui en dit long.