Les femmes et les hommes de gauche qui l’ont vécu s’en souviennent forcément. Le 10 mai 1981, avec 51,76 % des suffrages, François Mitterrand devient le premier président socialiste de la Ve République. Un nouvel espoir pour toute une génération, concrétisé par une série d’avancées sociales et culturelles sans précédent.
Par David Marquet
Quand le visage de François Mitterrand apparaît à 20h sur les télévisions françaises le 10 mai 1981, des millions de foyers laissent exploser leur joie. Après plus de vingt ans de droite au pouvoir, la gauche, enfin, remporte l’élection présidentielle.
La génération qui a connu l’échec de mai 68 et subi sept ans l’aristocrate Giscard d’Estaing (à qui l’on doit néanmoins la majorité à 18 ans, la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et le divorce par consentement mutuel, souligne France 24), entrevoit ses rêves devenir réalité. « La force tranquille », de Mitterrand a réussi à convaincre la majorité du pays. Attribué pendant longtemps au publicitaire Jacques Séguéla, ce slogan resté célèbre est en réalité la trouvaille d’une stagiaire de l’équipe du futur président, Anne Storch, comme l’explique LCI.
Cette élection présidentielle de 1981 est d’ailleurs unique dans l’histoire de la Ve République, débutant par la candidature farfelue de Coluche, l’humoriste le plus corrosif de l’époque, qui se vit créditer jusqu’à 16 % d’intentions de vote avant de finalement renoncer à sa candidature, raconte France Inter. Il appellera par la suite à voter pour le candidat socialiste.
François Mitterrand, qui gardait sûrement un cuisant souvenir du fameux « Vous n’avez pas le monopole du cœur« asséné par Giscard lors du débat de la présidentielle en 1974 et de sa défaite d’un cheveu, n’est pour autant pas arrivé seul au pouvoir. Premier secrétaire du Parti socialiste (PS) depuis 1971, il s’allie avec le Parti communiste (PC) pour rédiger un programme commun de gouvernement. Mais les dissensions entre les deux partis, détaillées par France Culture, décident finalement Marchais à se présenter contre lui : il recueille 15 % des voix au premier tour. Toutefois, soit peu séduit par l’éventualité de communistes au pouvoir à l’époque où l’URSS entretenait encore des liens étroits avec le PC, comme rappelle Libération, soit tout simplement résolu à voir le régime changer de bord coûte que coûte, le peuple de gauche vota massivement pour Mitterrand. Le président socialiste nomma pourtant quatre ministres communistes, comme s’en souvient avec émotion L’Humanité.
Dans la foulée de cette victoire inespérée, les Parisien·nes de gauche se retrouvèrent place de la Bastille pour fêter l’ère nouvelle qui s’annonçait, où, ensemble, tout devenait possible, n’en déplaise à Nicolas Sarkozy… Une pluie diluvienne s’abattît d’ailleurs sur ces 200 000 personnes réunies, que l’on voit sur cet extrait du journal télévisé du lendemain. Hilares, elle se mirent spontanément à crier « Mitterrand, du soleil ! », rappelle La Revue Politique, un site belge qui reprend un article du Soir. C’était un spectacle incroyable, et toutes les personnes l’ayant vécu (j’y étais, du haut de mes neuf ans) s’en souviennent forcément. Non pas seulement comme un événement historique (et c’en était incontestablement un), mais aussi comme une incroyable fête populaire. Pour donner une idée aux plus jeunes, c’était une jubilation aussi intense que la victoire de l’équipe de France en 1998.
À droite, évidemment, les mines étaient aussi grises que les idées noires, comme le prouvent ces souvenirs glanés par Le Monde. On y craignait le pire, envisageant de prendre le maquis en Suisse, persuadé que les chars russes allaient débarquer sur les Champs-Élysées ! Les mêmes ne ratent pas une occasion de rappeler les scandales éclaboussant les mandats de Mitterrand, des écoutes de l’Élysée au Rainbow Warrior, résumés ici par L’Express… et l’on ne peut que leur donner raison. Ces histoires sordides écornèrent durablement l’image de celui qui nourrissait tous les espoirs ce soir-là. On peut leur rétorquer que leur camp n’a pas chômé non plus.
Sous Giscard déjà, avec l‘affaire Bokassa, l’affaire Boulin ou celle des avions renifleurs, que remémorent RTL. Mais également sous les quinquennats suivant Mitterrand. Ensuite sous Jacques Chirac, avec les emplois fictifs et HLM de la mairie de Paris, que même Le Figaro ne put ignorer. Enfin sous Sarkozy, avec (entre autres) l‘affaire Bygmalion, dont le procès, prévu pour le 17 avril, vient d’être reporté au 20 mai, indique La Tribune, et les écoutes de l’Élysée (encore !), affaire pour laquelle Sarkozy a été condamné, la première fois pour un ex-président de la République, à un an de prison ferme, relève Le Monde.
Il n’empêche que l’élection de Mitterrand a permis de grandes avancées sociales, détaillées par La Dépêche : la réduction du temps de travail à 39 h, la cinquième semaine de congés payés, le remboursement de l’IVG et bien sûr l’aboltion de la peine de mort… Sans compter un grand nombre d’actions pour rendre la culture accessible au plus grand nombre, comme s’en souvient Quotidien, en doublant le financement du ministère dédié pour parvenir à 1 % du budget de l’État.
Parmi celles-ci, le prix unique du livre et les radios libres (1981), la Fête de la Musique (1982) et la Fête du cinéma (1985). Celle-ci ne durait une journée pour sa première édition, mais permettait, pour le prix d’une place au tarif plein, de voir tous les autres films pour 1 franc (0,28 euros !) Mitterrand fit aussi aboutir plusieurs chantiers dans ce domaine. Inédits, comme l’Opéra Bastille, la Pyramide du Louvre ou l’Institut du Monde arabe, ou achevés sous sa présidence, comme le Musée d’Orsay ou la Grande Halle de la Villette. Une somme de contributions à la culture plus large que tous ses prédécesseurs ou successeurs.
Pour toutes ces raisons, n’en déplaise aux esprits chagrins (entendre : de droite), le 10 mai restera toujours un symbole pour la gauche. Car jamais depuis ce soir-là elle n’a connu une aussi grande espérance.