Nous avons demandé à deux Américains comment eux ont vécu l’attaque terroriste qui a renversé l’Histoire. À New-York ou à Paris à l’époque, ils racontent cette journée, celles qui ont suivi, leurs réactions en apprenant la mort de Ben Laden, le départ des troupes d’Afghanistan ou l’absence de procès et comment ils se sentent aujourd’hui par rapport à cet événement.

Par David Marquet

Peter est New-Yorkais, Don vient de Chicago. Peter dirige sa propre société de productions de décors, en plus d’être un brillant scénariste. Sa dernière œuvre s’est retrouvée l’année dernière demi-finaliste d’un concours, le Big Break, et finalistes dans deux autres, la ScreenCraft Comedy Competition et The Screen Lab Free Screenplay Contest. Cette année, ce même scénario a l’honneur d’être demi-finaliste dans la plus prestigieuse compétition de scénarios au monde, celle de The Academy Nicholl Fellowship. Don est lui traducteur technique spécialisé dans l’aérospatiale depuis vingt ans, et vit à Paris avec sa femme, une Française, depuis 1982.

Tous deux ont accepté de répondre à quelques questions sur les attentats du 11 septembre 2001, racontés ici minute par minute par Le Parisien. Ils nous détaillent comment ils l’ont vécu à l’époque jusqu’à ce qu’il représente encore pour eux aujourd’hui. Nous avions aussi demandé à Heather (le prénom a été modifié à sa demande) qui nous a fait cette réponse lapidaire, mais très parlante : « Je travaille 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour tenter de faire sortir d’Afghanistan les Afghans qui travaillaient pour des ONG, ce qui est donc étroitement lié aux événements du 11 septembre – je n’ai malheureusement pas le temps de répondre à vos questions. »

Que faisiez-vous ce jour-là avant l’attentat ?

Peter : « J’avais travaillé comme machiniste sur le seul défilé de la Fashion Week cette saison-là, Marc Jacobs [lire l’article du Harper’s Bazar à ce sujet, en anglais]. C’était sur le quai 55 de la 12e rue ouest, à environ 30 blocks au nord du World Trade Center. Alors que le défilé semblait être un succès, l’événement ne l’était pas, car il avait plu cette nuit-là, et la fête a eu lieu au bout de la jetée… sur du gazon. Beaucoup de chaussures ont été abîmées. »
Don : «J’étais chez le coiffeur dans le 14e [arrondissement] en train de me faire couper les cheveux. »

À quel moment avez-vous réalisé que ce n’était pas un accident ? Et comment avez-vous réagi ?

Peter : « Le lendemain matin, nous sommes retournés sur la jetée pour démonter le spectacle. Ma femme de l’époque était partie au travail en tant que styliste environ une demi-heure avant moi. Elle a appelé alors que je quittais notre appartement de Brooklyn pour me dire qu’un avion s’était écrasé sur l’une des tours. J’imaginais que c’était un Cessna, ou quelque chose comme ça [un avion de tourisme, ndlr]. Je suis monté dans le métro, qui fonctionnait encore, et pendant mon trajet, le deuxième avion a frappé. Je suis sorti, j’ai tourné au coin de West Street et j’ai vu la fumée s’élever des tours. Ça ne semblait pas réel. Toute l’équipe, lorsque nous nous sommes retrouvés sur le quai, était en état de choc. L’une de nos membres, une jeune femme, avait un frère et un père qui travaillaient dans l’immeuble. Lorsque la première tour est tombée, elle aussi. (Il s’est avéré plus tard que sa famille s’en était sortie).

J’ai réussi à contacter ma femme et nous nous sommes retrouvés pour rentrer ensemble à Brooklyn par le pont de Williamsburg afin d’aller chercher notre fille à la crèche. (Les transports en commun avaient été fermés.) [Le New-York Times indique ici de quelle manière la ville a été paralysée par l’attentat, article du jour même (en anglais)]. En chemin, nous avons entendu les radios nous dire qu’au moins vingt autres avions étaient portés disparus. Il y avait beaucoup de spéculations inutiles.

Sur le pont, c’était comme l’exode dans un film catastrophe [France 24 en parle ici, article en anglais]. C’était une journée lumineuse, chaude et sans nuages – sauf pour la fumée qui s’élevait du bas de Manhattan. Certains se sont évanouis à cause de la chaleur. De l’autre côté, des ambulances juives orthodoxes nous accueillent et nous distribuent des bouteilles d’eau dont nous avons bien besoin. »
Don : « Cela m’a pris un peu de temps ; je ne me souviens pas si elle [la coiffeuse, ndlr] avait la télévision allumée ou si nous avions entendu quelque chose à la radio, [retrouvez ici le replay du 21h Média de TMC consacré au traitement médiatique de l’événement] mais ensuite nous avons regardé ce qui se déroulait à la télé. J’ai simplement présumé que c’était un petit avion qui s’était écrasé sur la tour, probablement un acte malveillant, mais ça ne semblait pas si grave. Et puis, alors que nous continuions à regarder et à en apprendre davantage, l’importance réelle de la situation s’est imposée. »

Quelle était l’atmosphère de la ville les jours suivants ?

Peter : « Le lendemain, on nous a demandé de retourner à la jetée et de faire le chargement. Parce qu’ils avaient besoin de la dégager pour faire place à une morgue temporaire.

C’était une tâche sinistre, et les camions de réfrigération faisaient la queue sur West Street, attendant que nous terminions… pour des corps qui ne viendraient jamais. [Comme l’explique Libération, sur les 2753 victimes new-yorkaises (pour un total de 2977 morts sur l’ensemble des attentats), 1106 personnes n’ont toujours pas été identifiées vingt ans plus tard].

Cette nuit-là, nous avons apporté les caisses d’eau restantes aux secouristes par chariot élévateur. Sur le chemin du retour, nous avons été arrêtés par une équipe de journalistes de Channel 11, et je leur ai dit que les personnes affectées aux recherches avaient besoin qu’on leur apporte de la nourriture, des sandwichs, de préférence.

Le lendemain, je suis allé au Jacob Javits Center [un Centre d’exposition célèbre utilisé pour les conventions où les volontaires pour apporter leur aide étaient appelés à se rendre] pour me proposer comme bénévole. Des milliers d’entre nous y ont passé la journée, mais aucun n’a été sollicité.

Le lendemain, nous y sommes retournés, et après des heures d’attente, un petit groupe d’entre nous a décidé d’y aller. Il s’est mis à pleuvoir, et pendant que nous marchions, des bénévoles nous ont équipés de vêtements de pluie et de casques de sécurité. Nous avons fini par décharger des camions juste à côté de Ground Zero, [nom donné à l’endroit où a eu lieu l’attentat du World Trade Center, originellement utilisé pour désigner celui de l’impact nucléaire à Hiroshima, dont FranceInfo relève ici les transformations jusqu’a aujourd’hui] sous une pluie battante. Lorsque nous avons terminé, un superviseur est venu nous dire que le président Bush venait sur le site le lendemain, et qu’ils avaient imposé une limite aux équipes de recherche. »

Don : « Très, très tendu ; et beaucoup de rumeurs circulaient bien sûr. Je me souviens avoir pris un taxi les jours suivants et le chauffeur m’a expliqué avec beaucoup d’assurance que tous les Juifs de la tour avaient été prévenus à l’avance, il s’agissait donc évidemment d’un complot juif ou sioniste… » [Le Midi Libre passe ici en revue les multiples théories conspirationnistes qui continuent à fleurir encore aujourd’hui].

Comment vous êtes-vous senti à l’annonce de la mort de Ben Laden par les troupes américaines le 1er mai 2011 ?

Peter : « Au moment où cela s’est produit, sachant qu’il n’était qu’un vieil homme faible, probablement proche de la mort de toute façon, cela ressemblait à une victoire creuse. Mais c’était quand même une victoire. »
Don : « Content ; il était temps. »

Comment percevez vous cet événement aujourd’hui, vingt ans plus tard ?

Peter : « C’est toujours difficile pour moi d’en parler. C’était une période incroyablement chargée en émotions. Je ne suis pas retourné à Ground Zero pendant des années après. Je crois que ma première fois, c’était quand je travaillais comme technicien pour le 5e anniversaire. »

Don : « Trop difficile à dire – toujours inimaginable par certains côtés. »

Pensez-vous que Biden a eu raison de se retirer de l’Afghanistan, ou considérez-vous que c’était un échec, avec la prise de pouvoir de Talibans qui s’en est suivie juste après ?

Peter : « La main de Biden a été forcée par son prédécesseur [Donald Trump, ndlr]. L’homme qui a libéré 5 000 membres des talibans – ainsi que leurs principaux dirigeants – pendant son mandat.

Mais je pense que c’est une tragédie pour les citoyens d’Afghanistan. »

Don : « Je n’en sais pas assez sur le sujet pour faire de commentaire. »

Pensez-vous qu’il devrait y avoir un procès un jour, comme c’est le cas aujourd’hui en France pour les attentats du 13 novembre ?

Peter : « Nous avons eu des auditions au Congrès, mais beaucoup de choses et de faits ont été passés sous silence. [Une note déclassifiée du FBI impliquerait l’Arabie saoudite, selon L’Express, avant d’autres promises à la levée du secret d’État par Joe Biden.]

Le 11 septembre est né de l’incapacité de nos agences de renseignement à travailler ensemble, et de l’échec de la nouvelle administration à tenir compte des avertissements des précédents occupants de la Maison Blanche. (Un peu comme ce qui s’est passé au début de la pandémie l’année dernière). »

Don : « Je pense qu’il y aurait dû y avoir des procès pour les gars de Guantanamo – je doute qu’il y en ait jamais. »[Comme le détaille Ouest-France, il y a eu plusieurs condamnations depuis 2003 liées aux attentats du 11 septembre. Mais il n’y a jamais eu de procès global, comme celui qui s’est ouvert à Paris mercredi pour juger les terroristes et complices du massacre du 13 novembre. Néanmoins, celui de Khaled Cheikh Mohammed, s’autoproclamant responsable des attaques en 2006, a repris mardi 7 septembre, trois ans après son arrestation, où il est dans le box des accusés avec quatre autres hommes, tous comme lui détenus dans la prison de Guantanamo (Cuba)].

Peter a tenu à rajouter un souvenir personnel : « C’est mon défunt père qui m’a emmené pour la première fois au sommet du World Trade Center. Aussi, lorsque les tours se sont effondrées, j’ai ressenti un lien émotionnel qui, aujourd’hui encore, me fait penser à lui chaque fois que je vois une photo d’elles. »

Mon propre souvenir du 11 septembre…
La une de Libération du 12 septembre 2001. Rien que la date, pour marquer le fait historique.

En 2001, je vis à Agen, où deux ans auparavant j’ai fini l’école d’acteurs du Théâtre du Jour. J’espère trouver un engagement pour pouvoir exercer mon métier. Le 11 septembre, je rends visite à deux amis toujours élèves de l’école chez l’un d’eux. Au départ, je ne prête pas attention à la télé allumée sur les images de la première tour en feu. Je suppose qu’il s’agit d’un film, tant le cinéma américain nous a habitués à faire exploser son pays – New-York en particulier. Ce sont eux qui me disent que ce sont des images réelles, en direct.
Quand les journalistes évoquent un probable attentat terroriste, nous faisons des plaisanteries douteuses sur un éventuel complot de Noir Désir, le groupe de rock, dont une chanson de leur dernier album parle de New-York en flammes. (Quelque chose de très français, rire du tragique, nous ferons le même genre de chose juste après l’attentat contre Charlie hebdo).
Lorsque nous voyons le deuxième avion percuter la seconde tour, nous ne rions plus du tout. Nous regardons, ébahis, ce qui se passe, comme le reste du monde. Bientôt on apprend que le Pentagone aussi est touché. En rentrant chez moi, complètement assommé, je me demande, épouvanté : « Est-ce le début de la troisième guerre mondiale ? »
Mais ce n’est que plus tard le soir, en tentant vainement de joindre mes amis américains, car toutes les lignes étaient saturées, que je réalise l’ampleur de ce qu’il s’est passé. Je lisais déjà assidûment Libération à l’époque, et j’essaie de deviner quel titre ils mettront en une le lendemain. Comment rendre compte de cet événement invraisemblable et pourtant tristement réel avec des mots ?
Je n’en vois qu’un possible : « 11 septembre 2001 ». Je ne m’étais pas trompé.

… et des Twin Towers
Les Tours jumelles photographiées aux alentours de 1990. Auteur inconnu.

J’avais 17 ans en 1989 quand je suis allé pour la première fois aux Etats-Unis avec ma classe. Je vivais chez mon correspondant à Philadelphie, et j’ai passé trois jours à Washington avec lui chez sa sœur. Or j’étais persuadé, comme pas mal de mes camarades, que nous devions passer aussi trois jours à New-York.
En réalité, certains l’avaient fait, d’autres non, il était juste prévu que nous visitions trois jours une autre ville, en fonction des familles d’accueil, Washington pour moi en l’occurrence.
Mais nous ne l’entendions pas de cette oreille. Les USA, pour nous, c’était avant tout New-York. Nous avons protesté auprès de notre professeure, tant et si bien qu’elle a fini par céder, nous octroyant une journée dans la Grosse Pomme.
Nous avions visité l’Empire State Building, la Statue de la Liberté (dont je me souviens avoir été un peu déçu, car marcher dans sa tête ne correspondait pas à ce que j’en avais imaginé)… et le World Trade Center.
Dont je suis quasi sûr d’avoir visité le sommet, mais pas à 100 %. Mes souvenirs sont plus flous : y étions-nous montés ? Ou cela avait-il été impossible ce jour-là pour une raison ou une autre ?
Quoi qu’il en soit, je préfère penser que j’y suis effectivement allé, car je garde quand même la vision d’un paysage vu de très très haut, beaucoup plus haut que l’Empire State. Un panorama à couper le souffle.
J’en suis sûr maintenant. Pendant des années j’ai souhaité y retourner et les revoir sans jamais pouvoir le faire, faute de moyens.
Quand les Twin Towers sont tombées l’une après l’autre, au-delà de la tragédie, j’ai eu un petit pincement au coeur égoïste car j’ai su que ce ne serait plus jamais possible.

Photos d’en-tête. 1. Le nom des victimes gravés autour des bassins construits à l’emplacement des tours. 2. Le One World Trade Center (aussi surnommée « Freedom Tower » (« la Tour de la Liberté »), qui les a remplacées depuis son inauguration en 2014, après sept ans de construction, de 2007 à 2013. 3. Un panneau très émouvant invitant les visiteurs à toucher le nom des victimes. Photos : DSJCM (2 juillet 2019).