Tom Petty and The Heartbreakers au festival Norwegian Wood d’Oslo en 2012. Photo : Jørn Gjersøe, NRK P3.

Le chanteur américain Tom Petty est décédé dans la nuit du lundi 2 octobre des suites d’une crise cardiaque. Que ce soit en solo, avec les Heartbreakers ou Traveling Wilburys, il aura marqué l’histoire du rock. Pourtant, il est relativement peu connu du grand public. Et c’est bien dommage.

Par David Marquet

Au début, ça ressemble à une mauvaise blague. Le décès de Tom Petty est annoncé par erreur dans la nuit du lundi 2 octobre, après que le chanteur a subi une crise cardiaque à son domicile de Malibu (Californie), provoquant la colère de sa fille et un démenti indigné. Hélas pour elle et pour nous, quelques heures plus tard, c’est une réalité. N’ayant pas pu être ranimé, Tom Petty est mort à 66 ans.

Tom qui ? diront la plupart de ceux pour qui rock américain rime seulement avec Springsteen ou Dylan. Pour preuve, le peu de papiers conséquents suivant immédiatement son décès, la plupart des principaux journaux français se contentant d’une dépêche AFP bâtonnée. Et pourtant, Thomas Earl Petty a apporté sa patte inimitable à l’histoire du rock. Car sous ses aspects « classiques », le sien est plus subtil qu’il n’y paraît, raison aussi sans doute pour laquelle il n’est ni aussi connu ni aussi célébré que les deux autres. Bob Dylan justement, qui le connaissait bien pour avoir fait partie avec lui des Traveling Wilburys (voir encadré), ne cache d’ailleurs pas son émotion au magazine Rolling Stone : « It’s shocking, crushing news. I thought the world of Tom. He was a great performer,  full of the light, a friend, and I’ll never forget him. » (« C’est une nouvelle choquante, accablante. J’avais une immense estime pour Tom, et je ne l’oublierai jamais »). Très vite, d’autres héros du rock ont réagi sur Twitter, comme Ringo Starr ou Mick Jagger.

« Dieu bénisse Tom Petty, paix et amour pour sa famille, tu vas vraiment me manquer, Tom.»

« Tellement triste pour Tom Petty, il faisait une musique formidable. Pensées pour sa famille. » Même l’écrivain Stephen King n’est pas insensible à cette disparition.

« Tom Petty disparu ? C’est tellement injuste. Quelle mauvaise journée ça a été, à tellement d’égards. » (Cette dernière phrase fait probablement référence à la tuerie de Las Vegas).

Ce qui prouve bien que malgré sa (relative) discrétion, Tom Petty a bel et bien marqué l’histoire du rock. Comme l’explique Rolling Stone, avec son groupe The Heartbreakers ou en solo, le chanteur fut à de nombreuses reprises disque d’or et de platine (article en anglais). Mais tout ça ne nous en dit pas plus sur l’homme et sa musique.

Tom Petty, un chanteur qu’on connaît sans savoir qui c’est

Hé bien, pour résumer, Tom Petty, c’est un type dont vous avez sûrement entendu au moins une chanson, sans pouvoir nommer son auteur. Sa discographie, forte d’une vingtaine d’albums, contient des tubes tels que American Girl, Refugee ou encore Learning To Fly. 

Né à Gainsville en Floride le 20 octobre 1950, c’est après avoir rencontré Elvis Presley sur un tournage en 1961 qu’il décide de s’acheter sa première guitare. Dès le milieu des sixties, il quitte le lycée (à 17 ans, c’est bien connu, on n’est pas sérieux) pour se consacrer à la musique. Après un premier groupe, il intègre Mudcrutch, où il rencontrera le guitariste Mike Campbell et le claviériste Benmondt Tench, qui l’accompagneront durant de nombreuses années.

C’est en déménageant à Los Angeles au détriment de ce groupe que Tom Petty enregistre son premier album, Tom Petty and The Heartbreakers, sorti en 1976. Perfecto, rictus animal, une Flying V qui transperce un cœur, le tout sur fond noir : clairement, ce ne sera pas un disque de salsa. C’est sur ce LP que figure American Girl, qui devint un tube et fut reprise par Roger McGuinn, ancien membre des Byrds. Premier album, premier tube, première reconnaissance. Qu’on se le dise, il faudra compter avec Tom Petty. Le line-up original comprenait, en plus de ses deux acolytes de Mudcrutch, Stan Lynch à la batterie et Ron Blair à la basse.

De plus, sa voix frêle, caressant les blessures ou hurlant la révolte, épouse parfaitement ses mélodies, plus délicates que celles du commun des rockers, ainsi que ses thèmes de prédilection : les laissés-pour-compte, les losers, et leur lutte face aux aléas de la vie. Le New York Times rapporte qu’il avait déclaré : « I turned anger into ambition. Any sort of injustice would outrage me. I couldn’t contain myself ». (« J’ai transformé ma colère en ambition. Toute forme d’injustice me rendait fou. Je ne pouvais pas me contenir. ») Dans le même article (en anglais), on apprend que Tom Petty était régulièrement battu par son père, un vendeur d’assurances. C’est peut-être de là que viennent les paroles de Refugee, qui ouvre son troisième album, Damn The Torpedoes (1979) :

Somewhere, somehow somebody
Must have kicked you around some
Tell me why you want to lay there
And revel in your abandon
Honey, it don’t make no difference to me baby
Everybody’s had to fight to be free
You see you don’t have to live like a refugee

Quelque part, quelqu’un
A dû te donner pas mal de coups de pied
Dis-moi pourquoi tu veux rester allongé là
Et te délecter de ton abandon
Chérie, ça ne fait aucune différence pour moi, bébé
Tout le monde a dû se battre pour être libre
Tu vois, tu n’as pas besoin de vivre comme une réfugiée

Damn The Torpedoes sera le plus grand succès de Tom Petty. Alors qu’il avait été ruiné après que le label MCA ait tenté de racheter ses droits à ABC Records, une situation qui mit neuf mois à se résoudre, poursuit Rolling Stone, le son des Heartbreakers et le talent de son leading man sont définitivement forgés. Des riffs bruts aux accents sudistes (que ne renierait pas Lynyrd Skynyrdautre groupe que tout le monde connaît sans l’identifier) – avec parfois des ornementations rappelant les Kinks, alliés à des mélodies qui ne dépareraient pas chez les Beatles, le tout enrobé d’une rythmique têtue, et de claviers trempés dans le boogie-woogie, l’album est un bijou. Là encore, pas de fioriture sur la pochette : Tom Petty seul avec sa Rickenbaker, en rouge et noir sur fond rouge (pour changer). Le disque sera triple album de platine, soit 900 000 exemplaires vendus. Pas mal pour un « inconnu » !

Avec son groupe ou en solo (son premier album sous son seul nom, Full Moon Fever, sortira en 1989), Tom Petty enchaîne les succès, et les concerts, accompagnant notamment Bob Dylan en 1987 (votre serviteur a eu la chance de les voir à l’oeuvre à Bercy), jusqu’à la réunion récente des Heartbreakers, qui venaient, pour leur quarantième anniversaire, de finir une tournée par trois soirées au mythique Holllywood Bowl.

Et puis il y a eu les Traveling Wilburys. Cinq mecs, George Harrison, Bob Dylan, Roy Orbison, Jeff Lynne et Tom Petty (excusez du peu !), qui créent l’air de rien un groupe qui redonne ses lettres de noblesse au concept même : toutes les chansons sont signées en commun, même si les auteurs véritables sont clairement identifiables. Et où Tom Petty excelle à tresser des balades, mais ni plus moins que ses potes.

Tom Petty est donc mort, et c’est très triste. Mais heureusement ses chansons resteront, car elles ont cette qualité rare : on a l’impression de les avoir déjà entendues même si c’est la première fois. Elles nous sont familières tout en étant originales, et ces mélodies, ces accords, nous accompagneront toujours. Si en nous quittant si prématurément, le leader des Heartbreakers a réussi à briser nos cœurs, son rock rugueux et élégant saura toujours nous le réchauffer.


Traveling Wilburys, un groupe comme on n’en fera plus

Ils étaient cinq : George Harrison, Roy Orbison (l’auteur de Pretty Woman, entre autres), Bob Dylan, Tom Petty et Jeff Lynne (ex-leader de Electric Light Orchestra). Et un jour, raconte Rolling Stone (article en anglais) ils firent à la va-vite une face B pour un single de Harrison. Et ça leur plut tellement qu’ils décidèrent de faire un album entier. Mais pas un album de légendes du rock qu’ils étaient pourtant, oh que non. Un disque, au contraire, qui moquerait leur célébrité, et la célébrité en général. On dirait donc qu’ils seraient cinq demi-frères, les Wilburys.

Lefty Wilbury (Roy Orbison) apporterait sa voix suave et ensorcelante. Nelson Wilbury (George Harrison) serait le fer-de-lance du projet, dans la foulée de son dernier album très réussi Cloud Nine (avec entre autres Got My Mind Set On You, tube de 1987). Lucky Wilbury (Bob Dylan), dont les albums précédents n’étaient pas mémorables, contribuerait par sa poésie gouailleuse. Charlie T. Junior (Tom Petty) serait le petit dernier, avide d’aider, et pourrait une fois encore, émerveiller par la grâce simple de Handle With Care ou Last Night. Enfin, Otis Wilbury (Jeff Lynne), prendrait en charge l’essentiel de la production, et chanterait sur l’entêtant Rattled.

Lynne raconte d’ailleurs au magazine comment, se retrouvant dans le studio de Dave Stewart (Eurythmics), tous travaillaient sur l’inspiration du moment. L’un deux commençait un riff, joint par un autre, puis des paroles, et ça devenait une chanson, puis une autre, etc. Entrecoupées d’histoires d’Orbison sur Sun Records ou Elvis  : « That’s why the songs are so good and fresh — because they haven’t been second-guessed and dissected and replaced. » («C’est pourquoi les chansons sont si bonnes et fraîches – parce qu’elles n’ont pas été remises en question, disséquées et remplacées. »). D’autant qu’en cette fin des années 80, le message peace and love des vétérans du rock avait quelque chose de rafraîchissant et même franchement jouissif. Cet album, sorti en 1988, ce sera Traveling Wilburys Vol. 1. 

Et le meilleur dans tout ça : cette jolie blague  potache a fait un carton ! Un disque de platine, doublé d’un succès critique. David Wild, le journaliste qui en fit à l’époque la critique dans Rolling Stone, écrivait : « C’est le meilleur album de ce genre jamais réalisé. c’est aussi le seul album de ce genre jamais réalisé. » Seule ombre au tableau, Roy Orbison est mort peu de temps après ce succès. Ce qui n’empêchera pas les quatre autres d’en faire un second deux ans plus tard, qu’ils lui dédieront (enfin, à Lefty Wilbury, mais c’est pareil puisque c’est lui. C’est clair ?). Et tout naturellemment, celui-ci aura pour titre Traveling Wilburys Vol. 3. Pourquoi 3 et pas 2 ? Parce que c’est comme ça et puis c’est tout. Preuve que ces types-là, malgré leur succès, malgré leur statut d’idoles, ne se prenaient vraiment pas au sérieux. Tout le contraire de nombre de stars de la musique d’aujourd’hui. Et qui ont dix fois moins de talent, en plus.