Manifestant·e·s à Paris le 31 juillet, troisième jour de mobilisation des opposant·e·s au pass sanitaire. Photo : Paola Breizh.

Par David Marquet

Quatre jours de manifestations, déjà un cinquième de prévu, contre ce que les protestataires nomment le « pass de la honte ». Aux cris de « Liberté ! » et « Macron, démission ! » les rangs des opposant·e·s au pass sanitaire ne cessent de grossir. De 114 000 le 17 juillet, leur nombre est monté à 237 000 samedi 7 août, soit plus du double en un mois. Chiffres officiels que les contestataires réfutent violemment à coups de tweets rageurs, bien que les organisateurs ne fournissent pas leurs propres estimations à la presse, souligne L’Est républicain. Une colère noire contre la loi considérée comme une violation de la Constitution, et plus encore depuis que le Conseil constitutionnel l’a validée le 5 août. Et contre sa matérialisation quotidienne étendue à partir de ce lundi 9 août aux restaurants, bars, hôpitaux, écoles et transports : le QR code destiné à limiter la propagation du Covid-19, qui, indique Le Figaro, a porté le nombre de patient·e·s en soins critiques de moins de 1000 à plus de 1500 en une semaine.

Rien pour autant ne préparait à ces alliances totalement inédites et franchement malsaines au sein même de ces manifestations. Des populations se prétendant de gauche défilant derrière Florian Philippot, ex-figure du Front national, auto-intronisé chantre de cette révolte. Sous prétexte qu’il défendrait la même cause juste et sans remarquer la récupération politique qui pourtant saute aux yeux. Ni à ces tweetos scandalisé·e·s de la suppression du compte de Francis Lalanne pour avoir comparé le vaccin à un crime contre l’humanité, rappelle La Charente libre. Lors de la deuxième manifestation du 17 juillet, cet énergumène appelait le peuple à « la destitution du tyran » dans cette vidéo du réseau social. Se rêvant en artiste engagé alors qu’il n’en est qu’une pâle caricature, il n’a du reste eu de cesse de proférer d’autres âneries à propos du Covid. Si bien qu’une partie non négligeable de mélomanes regrette le temps béni où il ne faisait qu’en chanter…

« La dictature c’est : ferme ta gueule, la démocratie, c’est : « cause toujours », disait l’acteur et metteur en scène Jean-Louis Barrault. C’est précisément ce « cause toujours » qui fait toute la différence.

Cumulant les hashtags pour se hisser en tête des trending topics et les invectives à l’apparition de la moindre critique de leurs certitudes, nombre de tweetos fustigent sans relâche les « merdias », particulièrement « BFMenteur », montrant une défiance grandissante à l’égard des journalistes « aux ordres du gouvernement ». En clamant appartenir à « la Résistance » (rien que ça), en exhortant à la lutte contre la « dictature sanitaire », voire la dictature tout court, ces gens font-ils véritablement semblant d’ignorer en quoi consiste une authentique dictature ? Un tel régime les ferait taire en les condamnant comme prisonniers politiques ou à mort, au choix. « La dictature c’est : ferme ta gueule, la démocratie, c’est : « cause toujours », disait l’acteur et metteur en scène Jean-Louis Barrault. C’est précisément ce « cause toujours » qui fait toute la différence.

On a pu aussi observer au cours de ces rassemblements des amalgames écœurants avec les victimes de la Shoah. Des étoiles jaunes arborant « non vacciné », des photos détournées du camp d’Auschwitz (« le pass sanitaire rend libre »), ce qui assombrit encore le tableau. Même sans y réduire les anti-pass au risque de les énerver davantage, cette insulte à la mémoire des Juifs ayant subi la répression nazie est proprement nauséabonde. Joseph Swarc, l’un des derniers survivants de la Rafle du Vel’d’Hiv’ a dénoncé cette instrumentalisation odieuse lors d’un discours très émouvant, relayé entre autres par 20 minutes. Et si ce n’était pas encore assez, une quantité inquiétante verse dans des théories toutes plus complotistes les unes que les autres en incitant les sceptiques à « faire leurs propres recherches » plutôt que de faire confiance à des scientifiques qui maîtrisent le sujet. Ou de vanter les élucubrations de cette infirmière ou de ce sociologue n’ayant nulle autorité pour parler d’épidémie, quand bien même cette doctoresse ou cet aide-soignant connaissent la brutalité des réanimations.

Devant l’obligation pour le personnel soignant d’être vaccinés partir du 15 septembre sous peine de suspension de contrat sans rémunération, qui pose clairement problème (sans parler de l’accès aux soins programmés pour les patient·e·s) analyse LCI, la Fédération SUD Santé Sociaux a déjà déposé un préavis de grève à partir du 4 août. Car même en permettant de freiner l’expansion du virus, elle met en porte-à-faux les employé·e·s s’y refusant, pour des professions exsangues après plus d’un an de pandémie. Soumis au même impératif, France 3 note qu’un des principaux syndicats de pompiers appelle à une grève illimitée à partir du 9 août, quoi que favorable au vaccin. En revanche, il est très étrange – pour ne pas dire incompréhensible, que les membres de la police en soient exemptés. En effet, les vérifications de QR code ne pourront se faire qu’à la sortie des établissements accueillant du public, explique Libération. Sauf que les commissariats sont des lieux qui en reçoivent… il y a donc beaucoup à redire sur cette loi faite dans l’urgence, comme presque toutes les décisions prises par le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire. Avec de brusques changements de direction, souvent contradictoires aux précédents, qui n’ont pas aidé à la lisibilité de leur action.

En circonscrivant l’accès des lieux publics à un QR code sans rendre le vaccin obligatoire, Emmanuel Macron a d’évidence commis un impair politique. En France, onze vaccins sont obligatoires, rappelle La Dépêche. Ça en aurait fait un de plus, et pas même les anti-vaccins n’auraient pu lui reprocher de diviser le pays. Mais le président du « en même temps » n’a pas la détermination d’un Mitterrand abolissant la peine de mort contre l’opinion publique. Son incitation à la vaccination produit l’exact inverse de l’effet recherché : les réfractaires en veulent encore moins et les indécis·e·s hésitent encore plus. Si la situation sanitaire empire, il devra sortir de cette impasse. En faisant marche arrière sur ses choix ou en fonçant dans le mur du vaccin obligatoire, dont il déclarait garder l’option dans son allocution du 12 juillet.
Pendant ce temps, Vincent Bolloré fait fuir ou licencie la moitié des salarié·e·s d’Europe 1 depuis qu’il est premier actionnaire, afin d’en faire une CNews Radio, relève Nice-matin. Aucune pancarte brandie. Grâce à lui l’ancien rédacteur en chef de Valeurs actuelles y est promu chef du service politique, expose France Info. Aucun poing levé. Une radio nationale est en passe de se muer en média d’extrême-droite à l’approche des présidentielles. Aucun slogan sur les pavés. Probablement parce que ça n’empêche pas ces pseudo-maquisard·e·s d’aller prendre un verre en terrasse.