Un jeune couple arborant le même slogan, symbole de la mobilisation de cette tranche d'âge. Photo DSJCM.
Un jeune couple arborant le même slogan, symbole de la mobilisation de cette tranche d’âge. Photo DSJCM.

REPORTAGE

À Paris, les opposants marchant contre la réforme du travail ont répondu présent, malgré des rangs relativement clairsemés. Il faudra probablement plus que les 100 000 participants avancés par les organisateurs pour en obtenir le retrait.

Par David Marquet

Première constatation : à 14h22, le métro République n’est pas fermé. Signe que la mobilisation n’est peut-être pas aussi forte que celle espérée par les syndicats qui y ont appelé (l’UNEF et la CGT, principalement). Pourtant, dès la sortie, la place est noire de monde. Mais pas au point qu’il soit impossible d’y progresser. On y avance même avec une certaine aisance, et l’on a tôt fait de rejoindre la tête du cortège.

Étonné d’y accéder si facilement, on aperçoit un groupe de cinq à six hommes appareil photo au poing. L’un d’entre eux porte la mention : « presse » sur le casque à sa ceinture, et le plus âgé nous confirme que c’est bien là. À deux cents mètres à peine du début du boulevard Voltaire, l’impression se renforce : la foule n’est pas dense. Autre détail révélateur : on peut, sans encombre, traverser le boulevard et déambuler dans les deux sens sur les trottoirs. Enfin, le départ prévu à 14h30 a lieu à… 14h35, indice supplémentaire d’une participation plus sporadique, sans doute, que celle redoutée par le gouvernement. Même si L’UNEF appelle à prolonger la contestation le 17 mars, et la CGT, FO et Solidaires à une nouvelle grève le 31 mars, relève Le Figaro.

Peu importe pour les manifestants, car l’ambiance propre à ces événements est au rendez-vous. Un camion de queue contient même un orchestre de jazz. On sent une grande solidarité dans la variété des profils. Syndicalistes, lycéens, étudiants, chômeurs, travailleurs et même sans-papiers. Libération raconte comment les opposants au projet de loi font entendre leur voix aux six coins de l’Hexagone. Tous ont répondu présent pour obtenir le retrait du projet de loi de la ministre du travail, Myriam El-Khomri.

Sur un drapeau CGT, une bulle : « Faut pas nous faire chier » au-dessus d’un dessin de Charb, ex-directeur de la publication de Charlie Hebdo assassiné lors de l’attentat contre la rédaction. La profession n’est d’ailleurs pas en reste, puisque le Syndicat national des journalistes (SNJ) est représenté. On constate néanmoins que les pancartes personnalisées se font plus rares que le 11 janvier 2015, lors de la « marche républicaine ». Quelques perles, cependant, comme celle-ci, détournant le « Soyons réalistes, demandons l’impossible », célèbre slogan de mai 68  :

 

Demandon l'évident
Photo DSJCM.

 

Ou celui-ci :

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Photo DSJCM.

 

Beaucoup, des jeunes principalement, défilent sous le hashtag #OnVautMieuxQueCa, lancé par un groupe de youtubeurs pour recueillir et mettre en ligne les témoignages de mauvaises expériences dans le cadre du travail. L’une d’elles porte même sur son dos l’inscription « Je ne suis pas virtuelle », en réponse aux doutes émis par certains sur la véracité des signatures de la pétition en ligne de Caroline de Haas, qui a dépassé le million de soutiens vendredi dernier.

Mais il n’y a pas que des lycéens ou des étudiants, loin de là, et tous les âges se mélangent. Juché sur un banc, un quadragénaire commente : « Ça me rappelle 95 ». Allusion aux grèves colossales déclenchées par le projet de réforme de la Sécurité sociale d’Alain Juppé, alors premier ministre, à l’hiver 1995, que rappelle L’Obs. Un peu plus en amont, un grand frisé à chapeau porte sur l’épaule un lecteur CD bombardant Killing In The Name, chanson de Rage Against The Machine de 1991. Certains manifestants s’esclaffent à son passage. Une dame grisonnante d’une cinquantaine d’années : « C’est dingue, ce truc, ça vieillit pas ! ». 

On approche du Bataclan. Soudain une détonation retentit. Un coup de feu ? Non, un pétard, heureusement. Mais durant une fraction de seconde les clameurs ont baissé, certains ont même stoppé net. Difficile de ne pas y voir une pensée collective liée à la menace terroriste. La jeune syndicaliste grimpée sur le camion de la CGT reprend de plus belle : « Ré-sis-tance ! Ré-sis-tance ! », que les militants (parmi d’autres) reprennent en chœur.

Un autre slogan, « El-Khomri, si tu savais, ta réforme… où on se la met » rappelle un mouvement plus ancien encore. Celui du 4 décembre 1986, contre Devaquet, l’homme qui voulait réformer l’université et s’est mis les étudiants à dos, relate France Info, donnant son titre au documentaire sur le sujet. Sauf que là, ça ne rime pas. Était-il si dur de scander « El-Khomri, tu l’as compris, ta réforme, elle est pourrie » ?  On aura même droit au « Ce n’est qu’un début, continuons le combat », preuve que les slogans, hélas, ne se renouvellent pas beaucoup, ou si peu.

Hormis les organisations habituées à ce type de protestation, il y en a de plus inattendues, comme le Collectif féministe contre le viol. Ou la Fédération anarchiste, qui, par essence opposée à toute forme de pouvoir, n’a a priori que faire de la loi d’un état dont elle conteste la légitimité. L’urgence à descendre dans la rue supplanterait-elle donc leurs convictions ?

 

 

Une image symbolique : les "ni Dieu ni maître" devant le lieu où fut perpétré le massacre des "fous de Dieu" le 13 novembre 2015.
Une image symbolique : des « ni Dieu ni maître » devant le Bataclan, où des « fous de Dieu » perpétrèrent le pire massacre du 13 novembre 2015. Photo DSJCM.

 

Celle-ci intrigue plus encore :

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Photo DSJCM.

 

Qui sont-ils, et pourquoi ce déguisement ? L’un d’entre eux accepte de bonne grâce d’éclairer le mystère : « Nous sommes le Mouvement des stagiaires, créé il y a dix ans – vous n’étiez pas en France à ce moment-là ?  s’amuse-t-il. Nous avons toujours défendu les précaires. Le masque, c’est un moyen de reconnaissance ». On réalise alors que la manifestation a atteint le métro Voltaire. En à peine une heure. Les premières estimations seront connues dans la soirée : 27 à 29 000 participants selon la préfecture de police, 100 000 d’après les organisateurs, indique Le Parisien, pour une mobilisation nationale estimée entre 224 000 et 500 000 personnes. Mais de retour au point de départ, l’idée d’une foule clairsemée se fait déjà certitude : la place de la République est vide. Et il n’est que seize heures.

En comparaison, souligne encore France Info, entre 150 000 et un million de réfractaires au projet Devaquet manifestèrent dans la seule capitale en 1986… S’il veut une chance de faire plier Manuel Valls, il semble donc indispensable au mouvement contre la loi El-Khomri de s’amplifier lors de ses prochains rassemblements.