128
Maude (au premier plan), Eléonore et Barbara soufflent des poèmes et des chansons aux  terrasses des café bien avant la nuit. Photo : DSJC.

REPORTAGE

Pour sensibiliser les fêtards aux nuisances sonores de voisinage, les Pierrots de la Nuit propose de petits spectacles de rue aux terrasses ou à la sortie des bars. Le Jefferson Post a suivi trois de ses comédiennes l’espace d’une soirée.

Par David Marquet

« On l’appelle Mademoiselle de Paris, et sa vie c’est un petit peu la nôtre ». Cette chanson  que nous fredonne cette Colombine à l’oreille au moyen d’un long tube enguirlandé, créée par Jacqueline François et reprise par Colette Renard, Maude la chuchotera à d’autres aux terrasses et à la sortie des bars. Avec Eléonore et Barbara, elle fait partie des « comédiennes-souffleuses » qui jouent ce soir dans la rue pour le compte de l’association Les Pierrots de la nuit, susurrant des poèmes et des mélodies aux populations des bars du XVIIarrondissement à travers leurs étranges sarbacanes. Leur but ? Provoquer une sensation d’apaisement pour les sensibiliser aux problèmes de voisinage nocturne, bien qu’il fasse encore jour, saison oblige. « Ça calme beaucoup les gens, raconte Éléonore. Certains sont même bouleversés. Ils ont l’impression d’entendre des voix de sirènes ». Elle s’amuse de l’effet produit par leurs accessoires. « Tout le monde pense qu’il y a un système complexe qui rend la voix mystérieuse, mais c’est juste un tube de carton ». Maude renchérit : « On est toujours surprise de la réaction hyper positive des gens. Il n’y a pas tant d’artistes de rue, à Paris. ».

095 (2)

094 (2)
Les actrices en train de se maquiller au premier étage de La Maison, l’un des 700 bars partenaires de l’association.

 

Au départ surpris par ces étranges apparitions, les fêtards du quartier se laissent séduire. Tandis qu’elles s’approchent à pas de loup du prochain bistrot, Cécile Marty, la coordinatrice de la médiation, explique la démarche de l’association en distribuant les dépliants qui cartographient les débits de boissons ouverts dans les parages après la fermeture du « Ripaille » ou du « Cube », et couvrant les VIIIe, le XIe et  XVIIIe arrondissements). Chaque quartier ou presque a son plan dédié. Plusieurs personnes les reconnaissent : « Ah oui ! Vous êtes ceux qui disent : chut ! », entend-elle régulièrement.

« Une idée attractive et festive de la nuit »

Pourtant ces petits spectacles cherchent avant tout à promouvoir « une idée attractive et festive de la nuit »,  insiste Solenne Clappe-Corfa, coordinatrice générale de l’association, créée en 2012 par le réseau MAP (Musiques actuelles de Paris) à la suite des États généraux de la Nuit de novembre 2010, rappelle Le Monde. Cette initiative cherchait à réconcilier tous les acteurs de la nuit, fêtards, travailleurs ou simples riverains. Et depuis qu’Anne Hidalgo a pris la mairie et les choses en main, secondé par Frédéric Hocquard, conseiller délégué au premier adjoint, chargé des questions relatives à la le délégué général de la nuit, l’association a eu droit à « un véritable engagement » de municipalité, y compris financier, ajoute-t-elle. Les Pierrots de la Nuit perçoivent environ 110 000 euros de la ville de Paris sur les 300 000 de leur budget annuel, selon Le Parisien. Le reste provient d’institutions culturelles, telles que la Spedidam (Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes-Interprètes) ou la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) mais aussi de la Fondation de France et de la Fondation EDF, entre autres.

107
Cécile en train de distribuer la carte des bars ouverts dans le quartier aux clients du « Ripaille », rue des Dames. Photo DSJC.

 

La nuit à Paris évoque aussi, hélas, les attentats du 13 novembre. Et l’association, bien que ses happenings n’aient lieu que d’avril à octobre, a été d’une grande utilité à cette occasion. « Notre rôle a été crucial, confirme la coordinatrice générale, il a été nécessaire pour ces établissements qui n’étaient pas syndiqués, qui ne sont pas adhérents à une association professionnelle. Car nous travaillons avec les commissariats, les mairies d’arrondissements, la préfecture de police. C’est elle qui nous a convoqués pour adresser les bonnes pratiques à avoir à ces établissements-ci. La vie nocturne est régie par le Code de la Santé publique et le Code de l’Environnement, qui sont très stricts. » Mais en temps normal, comme ce soir entre les cafés de la mairie du XVIIe, leur action est nécessaire, car les bars qui ne font pas respecter de bons usages de voisinages à sa clientèle risque « entre quinze jours et neuf mois de fermeture. Certains ne s’en relèvent pas », achève-t-elle.

116
Barbara rit-elle pour incarner son texte ou de la réaction amusée des gens attablés ? Photo DSJC.

 

C’est pour éviter ça, et faire en sorte que les riverains et les fêtards vivent en bonne intelligence, que Maude, Éléonore et Barbara continuent leur progression féérique au fil des bars. Mais au fait, ces habits de Colombine, est-ce pour rappeler le nom de l’association, en plus du badge qu’elles portent ? « Non, assure Virginie Maillard, la directrice artistique et metteure en scène. On crée les costumes d’après les propositions artistiques. Sinon ce serait trop mis en forme. » 

Des monologues de La Nuit des rois aux poèmes de Jacques Prévert

Les Pierrots de la Nuit proposent des genres très différents de médiation artistique, avec 18 comédiens et danseurs répartis en trois chœurs : un grand chœur, un autre dansé, et celui des comédiennes-souffleuses, tous intermittents du spectacle. Chaque spécialité se produit deux fois par mois, pour dix dates par saison. Ce ne sont donc pas toujours des Colombines, comme ce soir. « On a eu des échassières, des mimes, des super héros », confirme Virginie. Ou encore  les clowns « sonologues » experts en décibels qu’avait rencontrés Le Figaro. Et le succès ne se dément pas : « Une fois, au parc Montsouris, les gens faisaient vingt minutes de queue pour qu’on leur souffle à l’oreille des chansons italiennes », . Celles dont Barbara s’est fait une spécialité, en interprétant les comptines de son pays. Maude, quant à elle, à un faible pour les monologues d’Olivia et de Viola dans La Nuit des rois, et Eléonore, ces vers de Pour toi mon amour : « Et puis je suis allé au marché aux esclaves/Et je t’ai cherchée/Mais je ne t’ai pas trouvée/Mon amour ». « Prévert, ça marche bien dans la rue », assure-t-elle. 

Mais les textes sont avant tout choisis par rapport aux arrondissements traversés. Ces créations de trois heures en moyenne les jeudi, vendredi et samedi demandent un réel travail en amont, au travers d’enquêtes et de recherches documentaires. « Je passe beaucoup de temps à marcher dans les quartiers, pour comprendre comment il est fait et comment les gens y vivent. Ensuite on cherche à le transposer, théâtralement ou par la danse », confie Virginie Maillard, la directrice artistique et metteure en scène . « Ensuite on cherche comment le transposer théâtralement ou par la danse ». Pari réussi pour les Pierrots de la Nuit et ses Colombines, que l’on doit laisser partir à regret dans cet ancien faubourg où Jacques Brel écrivit Ne me quitte pas.