11-septembre-2001
Quand la réalité dépasse la fiction : la couverture de « Libération » du 12 septembre 2001. Paradoxalement, malgré l’horreur inédite des attentats, cette « une » compte parmi leur plus belles. (Photo Suzanne Plunkett).

Il y a quinze ans survenait l’attentat le plus meurtrier du monde occidental. Les images du 11 septembre 2001, semblant irréelles, tant la fiction américaine nous avait habitué à faire exploser son pays dans ses blockbusters, n’a pas empêché cette tragédie d’inspirer quantité d’œuvres de qualité très variable.

Par David Marquet

New-York, mardi 11 septembre 2001, 8h48 (14h48 heure française) : un Boeing 767 d’American Airlines percute la tour numéro 1 du World Trade Center, le centre d’affaires. 9h03 (15h03) : un Boeing 757 de la même compagnie percute la deuxième tour. 9h40 (15h40) : un Boeing 747 d’United Airlines s’écrase sur le Pentagone, siège du renseignement américain. 9h50 : la tour numéro 2 s’effondre. 10h06 : un Boeing 757 d’United Airlines s’écrase en pleine campagne en Pennsylvanie. 10h28 : la tour numéro 1 s’écroule à son tour. Bilan de ces événements tragiques et sans précédent répertoriés par l’Express : 2977 victimes en moins de deux heures.

Ces images ont fait le tour du monde et marqué durablement les esprits. Il y a eu un avant et un après 11 septembre. Et comme l’Amérique, il faut le reconnaître, interroge beaucoup plus souvent son Histoire que la France, la tragédie a inspiré de nombreux films, pièces, séries télé et chansons. Avec des résultats plus ou moins louables. Petit florilège, en partant du pire vers le meilleur. (Attention : spoilers !)

 


AU CINÉMA


World Trade Center, Oliver Stone, 2006

Ce film est un pur navet. Malgré ses bonnes intentions, on a connu Oliver Stone nettement plus inspiré. Le scénario retrace l’histoire (véridique, bien sûr) de deux policiers new-yorkais coincés sous les décombres. Et qui discutent. De tout et de rien. Pendant trois heures. Outre sa durée, le film pâtit d’un acteur principal, Nicolas Cage, qui n’a jamais eu beaucoup de charisme, ni un talent si époustouflant qu’il puisse nous tenir en haleine avec des bavardages de comptoir, fusse sous les tonnes de béton d’une des tours du 11 septembre.

Cerise sur le gâteau : l’apparition de Jésus à l’un des deux hommes, qui achève de porter cette entreprise de la nullité au ridicule le plus absolu. D’autant plus risible qu’on nous raconte l’histoire de deux types qu’on a sauvés, alors que c’est tout de même celle de 3000 personnes qui sont mortes. Et ce ne sont pas les Inrockuptibles qui diront le contraire, le qualifiant d’« ennui mortel ». Au sens figuré, fort heureusement.

Vol 93 (United 93), Paul Greengrass, 2006

Autant le film de Stone est boursouflé de prétention, autant celui-ci est d’une sobriété d’ascète. Mais il opte pour un angle plus original : les passagers du vol 93 qui sacrifièrent leur vie en se rebellant le 11 septembre contre les terroristes voulant projeter l’avion contre le Congrès américain . Les enregistrements, rendus publics en 2006, indiquait le Figaro, firent sourire Zacarias Moussaoui sur le banc des accusés, alors que l’y on entendait les supplications et les hurlements des voyageurs tués par les djihadistes…

Le principal intérêt de l’œuvre est donc d’être très documentée, pour ne pas dire quasi documentaire. C’est aussi sa limite : refusant tout effet spectaculaire, le film de Paul Greengrass accumule les scènes répétitives (l’interminable défilé des passagers et de gros plans sur leurs billets, les « je t’aime » à n’en plus finir que se déclarent les personnages sur le point de mourir). À force de vouloir coller au réel, aucune émotion palpable ne s’en dégage. Dans La Mort dans la peau (The Bourne Supremacy), qu’il réalisa deux ans plus tôt, ce dépouillement, qui tendait à rendre plus réaliste une situation fictive, produit ici l’effet exactement inverse : on a beau se dire que ce que l’on voit est vraiment arrivé, on n’en retient que la mise en scène. Pour autant, la démarche, aussi rebutante qu’elle soit, a au moins le mérite d’être honnête, comme le soulignait à l’époque le Monde.


AU THÉÂTRE


11 septembre 2001, Michel Vinaver, 2001

C’est le même souci documentaire qui a priori fait l’objet de la pièce de Michel Vinaver. Constituée uniquement de bribes de dialogues échangés par les protagonistes (victimes, terroristes, chefs d’État, etc.), elle a pour but, explique l’auteur, « le besoin de fixer l’événement hors de tout commentaire, nu dans son immédiateté. Peut-être contre l’empâtement de la mémoire, contre le travail de l’oubli. » Et s’il l’écrit, ou plutôt le décrit ainsi, c’est que selon lui : « On ne peut pas imaginer à partir de l’événement du 11 septembre parce que l’événement passe l’imagination. »

Si le projet peut paraître discutable d’un point de vue artistique, du fait de son imitation du réel, Vinaver repousse intelligemment ces critiques : « Imiter, l’art l’a toujours fait, depuis les bisons de Lascaux et d’Altamira jusqu’aux Passions de Bach et aux Matériologies de Dubuffet ; depuis Les Perses d’Eschyle jusqu’à La Guerre et la paix de Tolstoï et Playtime de Tati. » De plus, à la lecture, il n’en sort pas grand chose, mais parce que c’est un texte de théâtre, nécessitant donc d’être joué pour donner sa mesure. Et le théâtre, justement, est le lieu où tout peut arriver. Car contrairement au cinéma, les acteurs suffisent à embarquer le spectateur, sans qu’il y ait besoin de décor. Écrite à l’origine en anglais, ou plutôt « en américain », puis traduite par ses soins, la pièce a été par ailleurs montée dix ans plus tard par des élèves de banlieue qui n’étaient jamais monté sur les planches. Comme insistait l’auteur au micro de RFI, ces adolescents eurent la chance de jouer la pièce au Théâtre de la Ville, dans une mise en scène d’Arnaud Meunier. Le résultat est bouleversant.


À LA TÉLÉVISION


À la maison blanche (The West Wing), Aaron Sorkin, 1999-2006

Aaron Sorkin, le créateur de la série, est au summum de sa créativité quand il créé À la maison blanche (The West Wing,1999-2006). La série dépeint avec beaucoup d’humour le travail quotidien de la cellule de communication d’un président démocrate. Ce qui n’exclut pas la gravité, loin de là. Ainsi par exemple, au début de la saison 3, Martin Sheen, qui joue le chef d’État, précise qu’avant de continuer le fil de l’histoire de l’année précédente, le spectateur va avoir droit à une « pièce » intitulée Isaac et Ismaël (Isaac and Ishmael). Le récit en est très simple : tandis qu’un attentat terroriste est sur le point d’être déjoué, un collaborateur obscur de l’équipe subit un interrogatoire musclé, tant à cause de ses origines que parce qu’il porte le même nom que le principal suspect. Pendant ce temps, lors d’une visite scolaire, la Maison blanche est bouclée pour raisons de sécurité : ce qui permet à chaque personnage de donner son point de vue sur le terrorisme et la réponse à y apporter.

L’épisode est brillant pour au moins trois raisons : tous les points de vue sont représentés, du plus vengeur (« tuons-les tous », dit l’un d’entre eux) au plus humaniste. Ensuite car c’est l’occasion d’expliquer clairement et sans lourdeurs la différence entre religion et fanatisme, un effort de pédagogie rare sitôt après les attentats (l’épisode fut diffusé le 3 octobre). Comme l’avait noté le Monde, les fictions d’après 11 septembre insistaient plus sur la peur ou l’exaltation des héros. Enfin, et surtout, parce qu’à aucun moment ne sont prononcés les mots « Al-Qaeda », « World Trade Center » ni même « 11 septembre »… alors qu’il est évident que c’est bien là le sujet. C’est une des grandes qualités de Sorkin : il considère que son public est intelligent et cultivé, alors que la plupart des scénaristes seraient plutôt persuadés du contraire… (L’extrait qui suit est en anglais non-sous-titré).


EN MUSIQUE


The Rising, Bruce Springsteen, 2002

S’il y a bien un chanteur qui symbolise l’Amérique (tout à fait malgré lui d’ailleurs), c’est bien Bruce Springsteen. Et lui non plus, pour évoquer l’événement, n’utilise aucun des mots qu’évite soigneusement Sorkin (voir ci-desssus). The Rising, sorti en 2002, se consacre à la douleur de ceux qui restent après la catastrophe, du manque de l’absent, et de la nécessité de continuer à vivre. Le chanteur va même jusqu’à imaginer une histoire d’amour entre un soldat américain et une musulmane, où à prôner l’amour charnel comme remède au terrorisme. Un album si parfait qu’il lui valut le Grammy Award du meilleur album rock, et qui a même plu au service culture de Libération, ce qui veut tout dire…

Au vu de cette liste, on peut gager que ces attentats d’une violence inédite continueront d’inspirer (ou non) toutes les disciplines artistiques pendant très longtemps, au même que la guerre du Vietnam.

 


Sans oublier…


 

The Guys, 2002, pièce d’Anne Nelson, créée par Bill Murray et Sigourney Weaver au Flea Theater. Quand une journaliste aide un pompier à écrire l’oraison funèbre de ses hommes disparus. Lire ici (en anglais) la critique du New York Times.

The Mercy Seat, 2002, pièce de Neil LaBute. Le récit d’un homme marié qui trompe sa femme le 11 septembre 2001 alors qu’il devait se trouver au World trade Center… utilisera-t-il sa mort présumée comme alibi ? Lire ici la critique (en anglais) du Guardian.

Fringe, 2008-2013. Cette excellente série créé par J.J. Abrams, Alex kurtzman et Roberto Orci narre les aventures d’une agente du FBI spécialisée dans les phénomènes paranormaux, aidée d’un savant fou et d’un escroc d’une intelligence hors norme. À la fin de la saison 1,se souvient Ouest-France, l’héroïne se retrouve au sommet d’une des deux tours du World Trade Center… en 2008. Les héros finissent par découvrir l’existence d’un monde parallèle où des choix historiques différents ont changé le cours de l’Histoire…

Manhattan-Kaboul, de Renaud (2002), en duo avec Axelle Red. Cette chanson, qui imagine deux enfants dans deux villes opposées géographiquement et idéologiquement, fait partie d’une sélection de titres sur le 11 septembre choisis par Rolling Stone.

On trouve également sur YouTube la captation intégrale de 9/11, pièce de Scott Cahan (2001) qui décrit comment trois amis, dont un raciste violent, réagissent immédiatement après les événements du 11 septembre.